Jack Nicholson
était le plus véhément de tous sur ce point et avait « plus d’impact sur Hellman que quiconque », y compris Roos, d’après les observations de Rodgers.
L’auteur-compositeur-interprète percevait le jeune Nicholson, 27 ans, comme quelqu’un de « très raffiné, très brillant ». « Je l’aimais bien, c’était un type intéressant », dit Rodgers. Mais Jack était également un « provocateur » qui prenait plaisir à amener Rodgers au bord de la confrontation avant de se retirer, un sourire aux lèvres.
Rodgers et Hackett décidèrent de prendre leur revanche. Tous les jours, les comédiens partaient à la recherche d’un endroit frais et calme pour étudier leur texte et apprendre leurs répliques. Un matin, Nicholson se servit d’une échelle branlante pour monter au clocher d’une vieille église et s’y installer pour étudier le script. Hackett et Rodgers attendirent qu’il se soit assis puis retirèrent l’échelle et firent sonner la cloche. Ce jour-là, Jack savait son texte mais ne put entendre ses partenaires.
Le soir et pendant les pauses, Nicholson parlait beaucoup de Jean-Paul Belmondo, l’antihéros espiègle de la « nouvelle vague » , star d’ À bout de souffle de Godard, un acteur que Nicholson paraissait à cette époque idolâtrer. Peut-être Jack pensait-il que pour son travail, il devait se forger une image de truand élégant et aliéné proche de celle de Belmondo.
Jack était encore en train de tâtonner, de chercher son style – ou plutôt son individualité – en tant qu’acteur. Hackett se souvient d’une scène de Back Door to Hell dans laquelle les trois soldats américains rencontraient des rebelles philippins dans une hutte couverte de chaume. Hellman avait pointé sa caméra vers la table où les personnages joués par Rodgers, Hackett et Nicholson négociaient avec le leader des guérilleros, incarné par Conrad Maga.
La scène consistait en un échange entre Rodgers et Maga, les autres écoutant en silence tout en mangeant du riz dans des demi-noix de coco évidées et en buvant dans des coupes de bambou. Mais Hackett se souvient qu’au moment où on alluma la caméra, Nicholson avait la bouche pleine, et, à l’aide de son doigt et de sa langue, se lança dans de complexes gestes de réarrangement et manipulation du riz qui se trouvait dans sa bouche.
Après la première prise, Hackett prit Nicholson à part et se plaignit : « Bon sang, Jack, tu ne peux pas me refaire ce truc avec le riz – c’est une scène importante. » Jack répliqua : « J’essaie juste de me comporter avec le riz de façon naturelle, c’est tout. » Et il refusa d’en faire moins. « À ce moment-là, se souvient Hackett, je lui ai dit : "Jack, soit tu vas avoir beaucoup de mal à trouver du boulot dans le cinéma, soit tu vas devenir une grande star." » Une plaisanterie prophétique.
« Jack était un garçon très beau, très agréable, très brillant, mais il était un peu rigide en tant qu’acteur. Si vous l’avez vu dans ses premiers films, comme L’Halluciné, vous aurez remarqué qu’il ne s’était pas encore détendu. Je crois qu’il a commencé à se détendre à partir de ces films qu’on a faits aux Philippines. »
« J’ai assisté à la révélation de son sens de l’humour, ajoute Hackett. Son ironie. Son côté ahuri qui a commencé à émerger. Si vous regardez ces deux films, vous remarquerez que Nicholson, l’acteur, commence à trouver sa personnalité et son style à l’écran, et à faire des choix – qu’il a le courage de commencer à explorer certaines zones. »
« Jack l’a lui-même dit à l’époque, confirme Monte Hellman. On avait de longues conversations sur le plateau. Je me souviens qu’un jour, il était assis sous un arbre quand on tournait Back Door to Hell, et il a dit quelque chose du style : "Ça y est. Je crois que j’ai mis le doigt dessus." Il y avait quelque chose dans le courant qui passait entre nous et dans cette expérience qui l’avait amené à croire qu’il avait fait un pas en avant dans son travail d’acteur. »
Une fois Back Door to Hell terminé, Jimmie Rodgers s’en alla, et les autres levèrent le camp pour se diriger vers Manille. Ils avaient deux semaines pour souffler en attendant les nouveaux membres de leur famille d’adoption, les acteurs qui joueraient dans Flight to Fury, dont la star du film, Dewey Martin – un premier rôle aux traits rudes
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