Jack Nicholson

Ça m’avait rendu complètement dingue, à l’époque. »
    Une fois l’affaire conclue, Nicholson, Hackett et Hellman embarquèrent à Los Angeles sur un paquebot anglais à destination de Manille. Le bateau devait mettre vingt-huit jours pour traverser l’océan, en faisant escale à Hawaï, au Japon et à Hong Kong. Le voyage eut lieu vers la fin de l’été. Hellman avait divorcé de Barboura Morris et était accompagné de sa seconde femme, Jacqueline (qui devait jouer un rôle dans Flight to Fury), et de son bébé. Nicholson et Hackett partageaient une cabine.
    Nicholson et Hackett essayaient d’écrire environ huit heures par jour. Ils changeaient régulièrement de lieu, recherchant le confort dans la bibliothèque, dans le salon, sur le pont. Hellman contribua assez au script de Jack pour être crédité en qualité de co-scénariste. Mais ce fut Jack qui fit tout le travail d’écriture, recherchant des idées en tant que scénariste comme il le faisait en tant qu’acteur, en se promenant et en discutant avec les gens avant d’emmagasiner ses impressions.
    « À part pour les grandes lignes, Jack ne s’est pas beaucoup servi de moi pour le script, explique Hellman. Il s’est beaucoup plus servi de la vie sur le bateau. Quelqu’un arrivait, engageait la conversation, lui demandait ce qu’il faisait, et il inventait un personnage et le développait à partir de cette conversation puis il l’insérait dans le script. Tout ce qui se passait dans la journée se retrouvait dans le script. » Et même à bord du bateau, les journées étaient les journées, et les soirées les soirées. « On ne commençait à s’amuser, se souvient Hellman, que quand on avait fini notre travail quotidien. »
    Quand ils arrivèrent à Manille, après quatre semaines passées sur la mer, Nicholson avait terminé son premier scénario écrit en solo. Fred Roos, qui avait parié gros pour le compte de Lippert, se souvient avoir attendu leur arrivée anxieusement sur les quais. Mais il ne tarda pas à se calmer. « Ils m’ont présenté les scripts quand ils sont descendus du bateau, explique-t-il. Je les ai lus, et je les ai trouvés pas si mal. »
    Roos avait déjà engagé un chef opérateur, des figurants et des techniciens, et réservé un laboratoire de cinéma à Manille. Après quelques petits jours de repos, ils durent prendre l’avion pour parcourir plusieurs centaines de kilomètres afin de se rendre dans la ville de Daet, située dans la région de la rivière Bicol, au sud-ouest de Manille, un site qui offrait le cadre de plages et jungles nécessaire au premier des deux films qu’ils devaient tourner, Back Door to Hell, écrit par Hackett.
    Hackett et Nicholson devaient incarner deux des trois soldats américains qui, d’après le script, formaient une avant-garde pour l’invasion de Luçon en 1944. Mais comme c’était souvent le cas dans les films à petit budget, Lippert avait demandé à ce qu’une célébrité joue le rôle du leader de la petite unité.
    Jimmie Rodgers, un beau chanteur ténébreux qui avait été numéro un de la musique pop avec son tube Honeycomb en 1957, avait signé un contrat avec la Twentieth Century Fox qui lui garantissait de toucher 100 000 dollars par film. Bien qu’il eût fait bonne impression dans The Little Shepherd of Kingdom Come, l’une des premières productions Fox-Lippert, sa carrière dans le cinéma semblait depuis stagner. Grâce à l’amitié qu’il entretenait avec Spyros Skouras, président du conseil d’administration de la Twentieth Century Fox, Lippert fut présenté à Rodgers. Après avoir écouté le synopsis du producteur, Rodgers accepta de partir pour les Philippines afin de rendre Back Door to Hell plus attrayant.
    Rodgers se souvient parfaitement de son arrivée à Daet : l’atterrissage cahoteux sur la piste étroite d’un minuscule aéroport, le voyage en Jeep dans la pénombre avec Monte Hellman, l’arrivée dans un trou perdu, et l’installation dans une maison de pierres entourée d’églises. Rodgers, l’une des plus grandes stars de la chanson des États-Unis, se demandait dans quoi il s’était fourré.
    Accompagné de Hellman, Rodgers emprunta un long corridor et finit par arriver dans la cuisine, où il aperçut Nicholson et Hackett, assis autour d’une table. Des insectes grouillaient autour des lampes et des assiettes. Nicholson et Hackett étaient penchés au-dessus de leurs plats, mangeant d’une main