Je n'aurai pas le temps
percevoir l’état d’esprit de personnes qui me paraissent figées dans leurs certitudes. Leur attitude me renvoie à mon propre fonctionnement antérieur et à mes insécurités d’antan. Les échanges en deviennent d’autant plus profitables.
Un chemin de Damas inversé
J’ai rencontré, lors d’une promenade sur les hauteurs de la citadelle sicilienne d’Erice, une jeune femme qui m’a raconté son expérience religieuse. Elle est si semblable à la mienne que je ne résiste pas à la tentation de la relater ici.
Native d’une île antillaise entièrement dominée par une secte très stricte et où les autorités religieuses exerçaient une pression hégémonique sur l’ensemble de la population, elle avait été, depuis sa plus tendre enfance, imbibée de leurs austères enseignements et de leurs injonctions morales. Ce récit n’était pas sans évoquer pour moi la société monolithique du Québec de ma jeunesse. Accusée un jour d’avoir eu des relations « coupables » avec le patron de son bureau, elle était devenue la honte de sa famille, l’opprobre de sa société. Chassée de l’île, elle était arrivée un matin à Londres, où elle prit le métro. C’est là que se produisit l’événement libérateur qui changea sa vie. Dans l’escalator, observant la file interminable des gens que le mouvement l’amenait à croiser, elle avait été sidérée par la grande diversité des faciès, des couleurs de peau, des modes d’habillement. Elle prit alors conscience de l’étroitesse du monde fermé et étouffant dans lequel elle avait jusque-là vécu. « Toute culpabilité disparue, mon cœur se sentit soudain libre et la vie me devint légère », me dit-elle.
D’une façon similaire, la découverte de l’immense variété des cultes religieux, l’image de tous les peuples en prière, m’ont amené à prendre des distances vis-à-vis de la pratique religieuse, m’ont éloigné de toute piété rituelle, de toute cérémonie d’Église. Je me suis progressivement extrait de la ferveur qui m’avait habité et qui, je dois bien l’avouer, m’avait procuré d’intenses moments de plénitude. L’ai-jeregretté ? Je ne le crois pas. Et il m’était devenu clair que je ne pouvais plus rebrousser chemin. Ces jardins m’étaient dorénavant fermés comme, selon la Bible, le Paradis terrestre aux pécheurs. Mais d’autres jardins s’ouvraient à moi. Des sources d’émotion me restaient intactes : la nature, la musique et bien d’autres encore.
Les interrogations sont universelles, les réponses sont culturelles
Lors de mes séjours à l’étranger, j’ai eu maintes fois l’occasion de m’immerger dans des cultures différentes, de visiter leurs lieux de culte, en particulier leurs cimetières, endroits authentiques, non touchés par l’influence touristique. Au travers de conversations et de discussions, je me suis renseigné sur les diverses attitudes face aux grands problèmes humains ; le sens de la vie, la relation avec la réalité de la mort, etc.
Les interlocuteurs valables que j’ai rencontrés sur ces sujets ont été, en très grande majorité, des femmes. Obtenir de mes collègues scientifiques masculins, aussi bien au Japon qu’en ex-Union soviétique, de sortir des questions techniques pour aborder ces sujets exigeait une bonne dose d’alcool, renouvelée jusqu’à la fin d’un long repas, et la cohérence des propos en pâtissait souvent. Un jour, à Tokyo, désespéré du mutisme de mes collègues, c’est avec la responsable du vestiaire de l’hôtel que j’ai fini par avoir un échange intéressant.
Une phrase lue quelque part (j’ai oublié le nom de l’auteur) résume bien l’ensemble des conversations accumulées au long des années et des lieux visités : « Les interrogations sont universelles mais les réponses sont culturelles. » Les influences familiales, ethniques, amicales jouent un rôle majeur dans la vision du monde de chaque personne.
Un élément semble s’appliquer unanimement à l’ensemble des communautés humaines : le besoin de « sens », dans l’acception la plus générale de ce mot. Les anthropologues, les ethnologues, les historiens des religions nous ont appris l’universalité du phénomène religieux. Toutes les sociétés, sur tous les territoires, des immensités continentales aux minuscules îles de l’Océanie, des déserts équatoriaux aux glaces polaires, possèdent leur propre
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