Je n'aurai pas le temps
grand frère du Petit Chose pleurait sans arrêt et se proposait d’écrire un poème intitulé « Religion, religion, religion : poème en neuf chants ». Il n’alla jamais plus loin que le titre !…
Dans ce chapitre, j’entends parler en mon nom personnel, et n’exposer raisonnements et conclusions qu’à moi-même applicables. Les gens sont différents : voilà une réalité dont tout un chacun prend progressivement conscience. Les fonctionnements mentaux et les modes de pensée sont très variés. Ce qui atteint, persuade ou enthousiasme l’un peut rester sans effet sur l’autre. J’essaie seulement de décortiquer avec le plus de lucidité possible ma propre confrontation à ce que l’on appelle d’une façon vague le « religieux ». Sans me faire d’illusions sur l’efficacité d’un tel exercice.
Adolescent, au Québec, je n’éprouvais aucune difficulté à me laisser convaincre par la synthèse philosophico-religieuse enseignée par les bons Pères jésuites. Je lisais les écrits des auteurs catholiques : Jacques Maritain, Étienne Gilson. À cette époque, je séjournais souvent au monastère bénédictin de Saint-Benoît-du-Lac, au bord du lac Memphrémagog dans les Cantons-de-l’Est. J’y apportais livres et cahiers pour préparer les examens dans les vergers en fleurs, au-delà desquels s’étalaient les eaux sombres du grand lac. Je raffolais du chant grégorien des offices religieux. Les repas frugaux en compagnie des moines, lesoffices chantés, les fruits ramassés sur les pommiers, constituaient une ambiance parfaite pour m’immerger dans le monde fascinant des mathématiques et de la physique moderne. La contemplation des paysages, des fleurs, des oiseaux et de la voûte étoilée me révélait une harmonie qui me comblait. J’évoluais confortablement dans cette ambiance religieuse.
Privilèges célestes
Imprégnés des enseignements des Pères jésuites, mes camarades et moi-même étions tous persuadés d’être de grands privilégiés. Le baptême, peu de jours après notre naissance, nous donnait accès à la « Communauté des Saints ». L’Ancien et le Nouveau Testament, révélés par Dieu Lui-Même, nous intégraient dans le monde des Vérités éternelles. L’Église catholique, représentante du Christ sur la terre, était la mère spirituelle qui nous montrait le droit chemin du Ciel (si nous l’avions mérité !) et de l’accès au Royaume du Père éternel. Tout était clair et la voie à suivre parfaitement balisée.
Privilégiés, nous étions convaincus de l’être par rapport à l’immense majorité des humains non baptisés, privés d’accès aux sacrements et aux bénédictions de l’Église. Mais cette bonne Mère, se souciant de leur sort, déléguait ses missionnaires à travers le monde. Dans la chapelle du collège, des hommes en soutane blanche montaient quelquefois en chaire. Ils nous racontaient les souffrances et les espoirs des prédicateurs dans la savane où, la nuit, les lions rugissent. Nous admirions leur courage et leur dévouement.
Pourtant, au fil des années, des notes discordantes se mirent à perturber cette belle harmonie. En voici quelques éléments.
Au collège, un cours dit d’« apologétique » avait pour but d’établir d’une façon critique la véracité des dires del’Église de Rome. « Nous allons nous livrer à un exercice, dit un jour un jésuite dont la brillante intelligence me séduisait. Il s’agit de tout remettre en question, d’oublier ce qu’on vous a enseigné, de repartir à zéro et de scruter avec rigueur les fondements des enseignements du catholicisme. » Du coup, cette démarche, manifestement influencée par la méthode cartésienne, me plaît. Je suis prêt à jouer le jeu. « Pardon, mon Père, cet exercice n’est-il pas un peu risqué ? interrompt un élève connu pour sa piété. Imaginons que nous ne retrouvions pas notre foi ! – Ne vous inquiétez pas, rassure aussitôt l’enseignant, nous ne courons aucun risque : puisque notre foi est la vraie, nous la retrouverons plus solide que jamais après cette mise à l’épreuve. Elle en sortira victorieuse. »
Alors ! ? On jouait ou on ne jouait pas ? Plus exactement : cela n’était-il qu’un jeu ? Un jeu sans autre issue possible que cette victoire de notre foi ? Un enfermement programmé ? Où était l’autonomie de pensée qu’on prétendait nous inculquer ?
Un des sujets favoris des
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