Je n'aurai pas le temps
sermons, le doute religieux, me posait un problème récurrent. On citait volontiers les paroles de Jésus au mont des Oliviers, et aussi les textes de saint Jean de la Croix. Selon l’enseignement traditionnel, nos phases de doute sur l’existence de Dieu ou sur la crédibilité des paroles de l’Église étaient imputables au démon. La fermeté de notre foi était ainsi testée. Seul remède disponible pour retrouver confiance et sérénité, la prière, encore la prière, toujours la prière.
Autre sujet litigieux : le dogme de l’infaillibilité du pape en matière doctrinale. Quand je demandais : « Qu’est-ce qui nous garantit cette infaillibilité ? », on me répondait : « Le Pape est le Représentant de Dieu sur la terre. » Nouvelle question : « Et qu’est-ce qui prouve que Dieu se porte garant de cette infaillibilité ? » Nouvelle réponse : « C’est le Pape qui l’affirme dans le cadre de son infaillibilité » !
Toutes mes interrogations muselées, déjà je pressentais devoir faire face à un arsenal d’arguments irrécusables. « Comment pouvez-vous imaginer avoir raison contre le pape, les évêques et tous les théologiens qui se sont penchés sur ces questions depuis des siècles ? » En réponse à mes préoccupations, on m’enjoignait de résister à la tentation de l’orgueil, le péché de Lucifer, « le péché contre l’esprit ». On ajoutait parfois « le seul pour lequel il n’y a pas de pardon », expression d’une redoutable efficacité ! De quoi faire trembler des sextillions d’adolescents téméraires.
Un blâme reçu de la part du professeur de théologie, au sujet d’une dissertation dans laquelle j’avais introduit des spéculations toutes personnelles, était accompagné des mots suivants : « Il n’y a rien à ajouter aux paroles de saint Thomas. » Les multiples interrogations qui jaillissaient en mon for intérieur me paraissaient bien difficiles à concilier avec l’idée que la vision thomiste puisse être considérée comme « définitive » !
Une autre question me troublait profondément : si j’étais né en Chine ou en Inde, quel enseignement religieux aurais-je reçu ? Ne me serais-je pas senti privilégié d’avoir eu d’autres maîtres spirituels ? Tous ces sujets alimentaient mes réflexions. Les débats auxquels je me livrais se terminaient souvent par de pénibles ajournements.
Deux solutions antagonistes se profilaient :
– Soit taire volontairement mes objections et rester résolument dans le cadre spirituel imposé par l’Église catholique. Mais je sentais obscurément que je ne le supporterais pas longtemps.
– Soit sortir de ce carcan pour aborder librement le domaine de mes interrogations. Mais je devrais alors m’extraire du cocon confortable de mon enfance et prendre mes distances avec ceux qui partageaient mes convictions antérieures.
Je choisis alors de persévérer dans le cadre de l’Église. Pour mieux consolider ce choix, je décidai d’adhérer à un mouvement religieux appelé les « Congrégations mariales ».
L’expression la plus descriptive de l’atmosphère ambiante était « sentire cum Ecclesia » , s’efforcer d’être sur la même longueur d’onde que l’Église, et même de devancer sa mouvance… Une attitude que l’on qualifierait aujourd’hui de « pro-active ». En termes populaires : être plus catholique que le pape.
Souvent, les motivations qui nous ont poussés à certaines actions ne s’expliquent qu’ a posteriori . Il m’apparaît maintenant clairement que, par cette adhésion volontariste à cette institution aux allures radicales, je tentais de me prémunir contre la puissance des mouvements intérieurs qui m’entraînaient hors du giron de l’Église.
En fait, la véritable motivation de mon ralliement à cette association fut sans doute le besoin d’activer mes allergies à l’autorité et aux discours imposés. Comme un chat qui griffe celui qui tente de le retenir. Relisant la correspondance que j’échangeais avec mes amis d’alors, je tente quelquefois de retrouver mes états d’âme de cette période ; comment ai-je pu écrire des textes dans lesquels, aujourd’hui, je ne me reconnais d’aucune manière. Ce n’est qu’en intégrant cette rébellion latente que je peux maintenant en trouver l’explication et mesurer le chemin parcouru.
Cette expérience m’est aujourd’hui fort utile. Elle me permet de mieux
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