Je n'aurai pas le temps
Il s’était installé entre nous un climat de confiance qui m’autorisait à aller leur parler après les cours, ce que j’appréciais grandement. C’étaient de vrais éducateurs et ils considéraient leur métier comme une vocation, qu’ils accomplissaient avec le plus grand dévouement.
Me reste surtout un sentiment de reconnaissance pour ce que m’ont apporté quelques-uns de ces hommes remarquables, épris de culture et d’humanisme. Ils ont eu une influence certaine sur les choix que j’ai pu faire dans mavie, notamment au niveau professionnel, comme par exemple l’importance d’acquérir des connaissances et de les retransmettre par la suite. Il m’arrive encore de me référer à leur sagesse.
Je pense en particulier à un jésuite grand et mince, au sourire plein d’intelligence et d’humour : le Père Jacques Tremblay, qui, selon ses propres mots, cherchait – et selon les miens, excellait – à redonner à la philosophie ses « lèvres vermeilles ». Il s’attardait longuement sur ses auteurs favoris sans se soucier de couvrir entièrement le programme de l’année. À un élève qui lui en avait fait la remarque, il avait répondu : « Nous avons trop peu de temps pour le gaspiller à nous presser ! »
Une tradition – que je crois malheureusement perdue – voulait que nous apprenions des poèmes par cœur. J’en ai encore un certain nombre en mémoire (La Fontaine, Hugo, Sully Prudhomme, Mallarmé, Verlaine, Shakespeare…) que je me récite souvent avec la plus grande délectation. Je regrette seulement de ne pas en avoir appris davantage à cette période de la vie où l’on mémorise plus facilement.
Un exercice facultatif me plaisait particulièrement : on l’appelait « examen d’honneur ». En dehors du cursus habituel, nous pouvions, sous la direction d’un maître, choisir un sujet, y travailler pendant un semestre et présenter un texte sur les réflexions qu’il nous avait inspirées. Je me souviens avoir ainsi étudié Les Perses d’Eschyle, les Oraisons funèbres de Bossuet et Les Deux Sources de la morale et de la religion de Bergson. J’étais surtout séduit par la composante personnalisée et extra-curriculaire de cette démarche. J’y consacrais beaucoup plus de temps qu’aux travaux scolaires. L’énergie que j’y mettais était sans doute alimentée par mon allergie aux tâches imposées de façon autoritaire. Je dois bien le reconnaître, je n’ai jamais pu faire correctement que ce que je choisissais moi-même.
La « pureté »
Un mot occupait beaucoup de place dans le paysage collégial : « pureté ». Mot qui m’est resté longtemps mystérieux et dont je n’arrivais pas à comprendre le sens.
Les discours enflammés de certains religieux contre les films et les spectacles dits « obscènes » me faisaient pressentir un sujet de la plus grande gravité. Accompagnées de la notion de péché mortel, menant à cet Enfer dont seul le confessionnal sombre et malodorant pouvait nous libérer, ces paroles me plongeaient dans des abîmes d’anxiété.
L’antidote aux « mauvaises pensées » était l’image de la Vierge Marie que nous étions invités à prier dans la petite chapelle de l’Immaculée Conception (autre expression ô combien mystérieuse !). La « femme » elle-même n’existait que dans des représentations bien précises : celle de la « Vierge » (ou des saintes martyres des premiers temps du christianisme), celle de la « mère » (la nôtre, toujours sainte, à respecter infiniment…), celle de la future « épouse » (si nous ne renoncions pas au mariage pour suivre une vocation religieuse et faire vœu de chasteté) et finalement celle de la « putain » (Ève conversant avec le serpent au Paradis terrestre, et toutes les femmes qui se dénudaient dans les bars de la rue Saint-Laurent).
Aucune place pour la femme libre, maîtresse de sa vie.
Le monde extérieur entrait cependant au collège, mais à petites doses, grâce aux séances de cinéma des dimanches après-midi qui nous proposaient des œuvres exemplaires : La Passion du Christ , Joan of Ark (« Jeanne d’Arc »), Le Père Vincent (saint Vincent de Paul), The Bells of Saint Mary (« Les Cloches de Sainte-Marie ») avec Bing Crosby en aumônier-crooner. Je raffolais des films scientifiques et en particulier des Flammes du Soleil observées par le télescope de Bernard Lyot. Ce documentaire m’avait si fortement
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