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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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persister – en moi le désir d’une carrière scientifique. Un autre souvenir me revient en mémoire.
    C’est la fin du printemps. Une séance de travaux pratiques regroupe les collégiens de ma classe autour d’un « banc optique ». L’exercice consiste à fabriquer un télescope pour observer la planète Saturne. Il convient tout d’abord de mesurer les distances focales de deux lentilles, une grande et une petite, puis de calculer, avec une formule assez simple, l’intervalle avec lequel elles doivent être disposées sur l’appareil. L’ensemble est ensuite porté à la fenêtre. La nuit est tombée. Tremblant, je dirige maladroitement mon instrument vers la planète déjà bien haute dans le ciel. Je colle mon œil à la première lentille : Saturne est là ! Telle que je l’avais vue maintes fois en image. Dans une luminosité blanchâtre et vacillante, ses anneaux inclinés entourent son petit disque. Certes, l’image est infiniment moins détaillée que sur mes livres, mais là, c’est en vrai !
    L’apparition de cette image, obtenue à la fois grâce aucalcul et à la manipulation optique, m’a marqué profondément. Une opération magique ! L’invisible rendu visible ! Comme une route ouverte sur un continent nouveau soudain rendu accessible par la connexion de la théorie et de la technique. J’imaginais sans peine l’émotion de Galilée, en janvier 1610, dirigeant pour la première fois sa lunette vers le firmament, découvrant les montagnes de la Lune, les satellites de Jupiter, les croissants de Vénus et les étoiles qui « constituent » la Voie lactée.
    Mais au-delà de cette émotion profonde, ce qui m’impressionna le plus ce jour-là fut de découvrir la puissance de l’esprit humain et de l’outil dont il s’est doté : les mathématiques. Le fait qu’une simple formule algébrique puisse nous donner le mode d’emploi pour accomplir un tel exploit provoqua en moi comme un sentiment de vertige. Je n’en revenais pas. Et d’ailleurs, je n’en suis jamais revenu ! Dans mes travaux de recherches, j’ai souvent tenté d’établir les équations décrivant un phénomène encore inexpliqué. Les quelques (rares) fois où mes collègues et moi avons réussi, où les observations ont confirmé les hypothèses basées sur nos calculs, j’ai retrouvé cette même sensation. Me revenaient alors en mémoire les mots du physicien Eugene Wigner : le plus étonnant, c’est l’extraordinaire efficacité des mathématiques à décrire la réalité.

    Cristaux nacrés
    La séance de travaux pratiques de chimie, pourtant très prometteuse, s’est avérée frustrante. Il s’agissait d’observer au microscope la cristallisation d’une solution de permanganate de potassium sursaturée dans une mince coupelle. L’évaporation de l’eau a été si lente qu’à la fin de l’heure statutaire, aucun cristal n’est apparu. Déception !
    Mais les protestations des élèves n’y changent rien. Il faut partir. Décidant de ne pas nettoyer ma coupellecomme on nous le demande, je veille à ce que le pêne ne bloque pas la porte du laboratoire. Et le soir, je reviens seul y prendre ma place.
    Je colle mon œil au microscope, j’en allume la lampe, et là, c’est l’émerveillement ! Dans le cercle éclairé s’étale un enchevêtrement de cristaux bleus aux formes allongées et aux multiples branches latérales. Quelques instants me suffisent pour constater que l’activité cristalline se poursuit sous mes yeux. Dans le liquide, le dessin des plaques solides change lentement. Les transformations, sans être vraiment visibles dans leurs mouvements propres, s’évaluent facilement après quelques minutes. Je surveille les pointes acérées qui, dans leur progression, entrent en contact les unes avec les autres, s’associant en une nouvelle configuration que d’autres rejoignent bientôt. Le paysage évolue sans cesse. L’instrument est muni d’un verre polarisant que l’on peut faire tourner autour de son axe. Il suffit de le déplacer lentement pour donner aux cristaux une panoplie de couleurs pastel ou fauves, toutes aussi chatoyantes les unes que les autres.
    Je ne saurais dire combien de temps je suis resté accroché à ce spectacle fascinant, alors que les derniers rayons du soleil entraient latéralement par les grandes fenêtres de la classe. Seul, loin de l’agitation scolaire, j’ai senti que quelque chose me parlait dans le calme du crépuscule et

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