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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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m’attachait à ce monde encore à découvrir. Un privilège à moi réservé. Quelque chose de l’ordre d’un contrat tacite que j’étais trop heureux d’accepter. Et il m’est apparu que cette venue clandestine dans la salle de cours était parfaitement dans l’esprit de cet appel secret.

    Le Père Beauséjour et l’empire des chiffres
    Il en était de l’astronomie comme des autres sciences naturelles : je lisais tout ce qui me tombait sous la main.Pendant mon enfance, l’ Encyclopédie de la jeunesse me fut d’un précieux secours. Au collège, cette science était au programme de la dernière année. C’est un professeur de mathématiques qui nous l’enseignait, le Père Beauséjour, un homme aux cheveux blancs, digne, austère, empreint de rigueur, qui habitait un monde de chiffres. Dans son cours, le tableau noir était constellé d’équations.
    Il nous parlait de la force de gravité, en vertu de laquelle les corps s’attirent réciproquement en fonction de leur masse respective, et qui diminue quand ils s’éloignent en raison de « l’inverse du carré des distances ». Il nous expliquait comment Isaac Newton l’avait mise en équations, comment il avait réussi à prévoir le mouvement des planètes autour du Soleil. J’étais littéralement fasciné par le fait que, grâce aux mathématiques, il soit possible de prévoir avec une telle précision l’itinéraire des astres que j’observais sur la terrasse familiale au bord du lac Saint-Louis.
    Mais un problème restait non résolu : la planète Mercure s’obstinait à ne pas obéir exactement aux lois de Newton. Les déviations de sa trajectoire, pour minimes qu’elles fussent, n’en étaient pas moins réelles. Il manquait quelque chose… C’est là que le Père Beauséjour évoquait le génial Einstein. Il avait résolu ce problème en remettant en cause notre conception même de l’espace et du temps. Selon sa « théorie de la relativité », les rayons lumineux sont défléchis quand ils passent près d’un corps massif (voir annexe 2). Résultat : au moment d’une éclipse, on peut apercevoir des étoiles situées derrière le Soleil. Le trajet de leur lumière a, en effet, été dévié à proximité de la masse solaire. En 1919, après une éclipse, Einstein s’était payé le luxe de rester impassible quand on lui avait appris que les ondes lumineuses frôlant le Soleil avaient réagi conformément à ses équations !
    J’appréciais beaucoup ce jésuite qui me faisait accéderà l’univers des mathématiques célestes. Je le voyais comme un puits de science et cela forçait mon admiration. Je me souviens pourtant que, lors de son premier cours, une de ses phrases m’avait heurté. « La plupart des gens – avait-il énoncé gravement – se contentent de s’émerveiller devant la voûte étoilée. Ils ignorent ce qui donne à ce spectacle son véritable intérêt, même si on a écrit sur les astres de très beaux poèmes. » Les mots « même si » m’avaient semblé manifester, à l’égard de la poésie, une condescendance que le mouvement involontaire de ses lèvres avait accentuée. C’est que la littérature m’était tout aussi chère que les mathématiques.
    Lors d’un cours de physique, une équation m’avait particulièrement frappé parce qu’on la retrouve dans des domaines très divers. Elle décrit en effet aussi bien les variations de température que la distance parcourue par une voiture, la diminution de la longueur d’une bougie allumée et beaucoup d’autres choses encore. J’avais cherché à comprendre comment la même formule pouvait s’appliquer à tous ces phénomènes. L’explication tient en ces quelques mots : les mathématiques permettent d’extraire la structure logique commune à de nombreux faits différents. Je retrouvais effectivement ce que Galilée avait découvert quatre siècles auparavant et qui lui faisait dire que les mathématiques sont le langage de l’Univers (voir annexe 3). Ce fut, au XX e  siècle, le credo d’Einstein.

    Le désenchantement du monde ?
    Je me suis alors posé une question qui m’est restée présente à l’esprit pendant des années : jusqu’à quel point les nombres nous permettent-ils d’expliquer le monde ? Autrement dit : les mathématiques épuisent-elles la réalité ? Toute interrogation pourrait-elle y trouver sa réponse ? Tout problème sa solution ? Tout mystère son élucidation ?
    Que

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