Je n'aurai pas le temps
impatience à connaître la suite : « Et après ? et après ? » Lorsqu’on me demande d’où me vient le goût de raconter des histoires sur l’Univers, les étoiles, les atomes, ou de poser des devinettes, c’est à ces instants magiques que je pense.
D’aussi loin que je me rappelle, j’ai voulu suivre ses traces. Mon auteur favori était Edgar Allan Poe. De lui, je racontais volontiers « Le Chat noir » et je m’attardais plus longuement sur le miaulement du chat enterré avec le cadavre de la victime, observant dans les yeux de mes auditeurs combien l’épisode les captivait. Au fil du temps, mon répertoire d’histoires et de devinettes s’est considérablement élargi et je l’utilise à présent lors de longs trajets en voiture ou à l’occasion de repas pour détendre l’atmosphère et faciliter la convivialité dans un groupe de gens qui ne se connaissent pas.
« Laissez-le tranquille »
Mais l’influence bénéfique de ma grand-mère sur moi ne s’est pas arrêtée là. Me voyant continuellement plongé dans des livres de sciences, mes parents s’inquiétaient : « Ce n’est pas avec ça que tu vas gagner ta vie. Fais plutôt de la médecine comme ton frère ou bien du droit. Il y a beaucoup de juristes dans la famille, tu seras bien introduit dans ce milieu. »
Ma grand-mère protestait : « Laissez-le faire ce qui lui plaît, cessez donc de le bâdrer » (ennuyer : dérivé de l’anglais to bother ). Et pour étayer ses arguments, elle racontait alors l’histoire de son beau-père, Pierre-Ulrich Beaupré, un homme d’origine modeste qui, très jeune,avait été placé comme apprenti dans une fonderie de fournaises (chaudières à eau chaude). Un travail pénible, des manœuvres dangereuses, pendant de longues journées, dans des locaux sombres et insalubres.
Elle ajoutait : « Lors de ses rares moments libres, au lieu de s’amuser comme ses amis, il lisait tout ce qu’il pouvait trouver sur la métallurgie, de son histoire ancienne aux techniques les plus modernes. Il dessinait continuellement des modèles de chaudières. Il était comme toi, me disait-elle, toujours le nez dans ses livres. À qui lui demandait : “À quoi penses-tu toute la journée ?” il répondait : “Laissez-moi tranquille, je réfléchis.” »
Au début du XX e siècle, pendant les froids hivers de Montréal, nombre d’incendies spectaculaires étaient dus à la rupture des éléments des chaudières surchauffées. Des familles entières se retrouvaient dans les rues glacées au petit matin, sans logis.
Le souci de Pierre-Ulrich était de modifier leur dessin afin d’éviter de tels drames. Au début, ce qu’il proposait ne suscita que de la méfiance de la part des contremaîtres : « Ne perds pas ton temps, fais ce qu’on te dit. » Mais devant le nombre croissant et la violence des incendies, un ingénieur finit par l’écouter et apprécia ses suggestions. Ses projets furent mis en chantier. Le succès fut rapide. Il ouvrit alors sa propre fonderie, fit fortune, élargit sa production à d’autres objets métallurgiques, et devint le fournisseur officiel en hélices des navires de la marine marchande du Canada. Son fils, mon grand-père maternel, lui succéda. Quand j’étais enfant, nous utilisions, pour les brouillons de nos devoirs scolaires, le verso des formulaires de commande de la Maison P.U. Beaupré. J’en ai conservé quelques-uns. Ils me rappellent combien l’appui de ma grand-mère me fut précieux dans la poursuite de ma carrière… Je lui en garde une chaleureuse reconnaissance.
Le goût du jardinage
À Bellevue, ma grand-mère et ma mère cultivaient un jardin potager. Chaque enfant avait droit à un petit carré dans lequel il mettait les plantes qu’il désirait. Aux légumes je préférais les fleurs. J’aimais particulièrement les sveltes glaïeuls multicolores qui, pour moi, avaient des allures de plantes équatoriales.
Je souhaitais vivement y mettre aussi des arbres, mais l’espace était trop restreint. Je finis par trouver chez un pépiniériste un cyprès nain d’une vingtaine de centimètres de hauteur, que je cultivais amoureusement. J’essayais d’imaginer comment je me sentirais près de lui si je n’avais mesuré que quelques centimètres, marchant à ses pieds et levant la tête pour en apercevoir le sommet. Je me souviens de ma tristesse quand, un jour, il a commencé à jaunir. Je me disais : quand je
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