Je n'aurai pas le temps
impressionné qu’il avait renforcé ma décision de devenir astronome.
Plus délicieuse pour nous, et plus délicate pour les autorités, était la projection de films français de l’époque. On y retrouvait les actrices qui faisaient rêver les adolescents : Yvonne Printemps, Danielle Darrieux, Michèle Morgan. Un bon Père vigilant manœuvrait l’objectif pour brouiller les images jugées trop lestes pour nos âmes fragiles. Erreur de stratégie pourtant : ce flou attirait notre attention et éveillait plus encore nos émois déjà à fleur de peau…
Paysages en musique
La salle de musique du collège était équipée d’un bon gramophone (pendant la guerre, les aiguilles de métal étaient introuvables et nous utilisions des aiguilles d’aubépine recueillies sur le Mont-Royal) et d’une collection de disques classiques bien rangés sur des étagères, dans une grande armoire vitrée. Je m’y rendais pendant les heures de récréation, accompagné de quelques amis mélomanes. Il importait de choisir des œuvres qui ne risqueraient pas d’être brutalement interrompues quand, à la fin de l’heure de récréation, un surveillant viendrait, sans état d’âme, éteindre l’appareil et nous éjecter sans ménagement de la pièce. Mais un jour, je remarquai une autre issue, sorte de sésame secret caché au fond d’un grand placard. Réussissant à « emprunter » le trousseau de clefs permettant de l’ouvrir, il me fut possible d’y accéder clandestinement et d’y passer de longues heures à écouter de la musique.
Un jour pourtant, la porte s’ouvrit brusquement sur le préfet de discipline (sorte de surveillant général), qui, furieux, me fit déguerpir : « Vous ! Il n’y a pas une porte qui vous résiste ! » À mon grand étonnement, je m’entendis lui répondre :
« C’est un des plus beaux compliments qu’on m’ait jamais fait !
– Polisson, savez-vous que je pourrais vous gifler pour cette insolence ? »
Me mettant rapidement hors de sa portée, j’ajoutai : « Ça vaudrait le coup ! »
Informé de cette histoire, le Père Tremblay, avec qui j’avais souvent parlé de musique, me proposa d’aller en écouter dans une autre salle, située dans la résidence des religieux, où je serais plus à mon aise : « Allez-y entre telle et telle heure, il n’y a jamais personne. » Je lui en suis, encore aujourd’hui, très reconnaissant.
De ce lieu, je garde en particulier le souvenir de deux œuvres de Mozart : le Concerto pour flûte et harpe avec Lili Laskine et Jean-Pierre Rampal et la Symphonie concertante pour instruments à vent .
Quand il m’arrive de les réentendre, je revois immédiatement la pièce aux rideaux beiges, les chaises droites sagement alignées, les images des instruments sur les couvertures colorées des albums et leurs étiquettes rouges RCA Victor « La Voix de son maître » tournant lentement sur le phonographe. Instantanément, je revis l’indicible bonheur de ces heures parfaites.
Vers ces années, j’ai découvert combien l’association spontanée de la musique et des paysages enrichit à la fois le plaisir de la contemplation et celui de l’audition.
C’est l’aube dans le port de Baie-Saint-Paul à Charlevoix au Québec. Avec des amis, nous sommes en partance pour la verte île aux Coudres, visible à l’horizon. La mer est couverte d’une brume blanche légèrement rosée sous les premiers rayons du soleil matinal. On entend, enfouies dans les nébulosités opaques, les cloches de brume carillonner tour à tour. Ici, là, très loin celle-là, puis à nouveau celle-ci près du quai où nous allons embarquer.
La Cathédrale engloutie de Claude Debussy me faitchaque fois revivre cet instant sublime. J’attends avec impatience le moment où les cloches carillonnent, limpides, parmi les sonorités sombres aux accents aquatiques. Lorsque, à l’occasion de croisières sur l’océan, je m’accoude au bastingage, il m’arrive d’entendre chanter dans ma tête les passages majestueux de l’orchestre Entre midi et deux heures sur la mer . Et, dans le mouvement lent de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, le solo de flûte qui émerge des ondulations des cordes évoque pour moi une percée de soleil, au loin, scintillant à la surface d’une mer calme sous un ciel de nuages.
Saturne dans la lunette
J’ai évoqué précédemment les personnes et les expériences qui ont fait naître – et
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