Je n'aurai pas le temps
De plus, il doit opérer un tri dans l’immense moisson d’informations qui lui parvient, pour ne conserver que celles qui lui permettront d’avancer. En état de vigilance, il garde continuellement à l’esprit l’ensemble des interrogations en rapport avec son sujet d’analyse. À chaque fois que, dans un article, il recueille une nouvelle donnée, il se demande si, et en quoi, elle pourrait éclairer sa lanterne et faire progresser sa recherche. Comme le détective d’un roman policier, il lui faut se méfier des indications trompeuses qui le mettraient sur une mauvaise piste. Et surtout, il doit savoir attendre, parfois longtemps, le renseignement qui lui manque, quitte à proposer à un laboratoire ou à un observatoire de faire la manipulation requise pour l’obtenir.
Un terrain particulièrement fertile pour la recherche se situe à la frontière entre des domaines apparemment sans rapport entre eux. Les grandes avancées scientifiques sont souvent nées de tentatives audacieuses de rapprochement entre des sujets au départ très éloignés.
Les exemples sont nombreux. Ainsi, la physique des particules élémentaires doit beaucoup à l’étude de la chimie de la résistance électrique de certains sels à basse température (superconductivité). Elle en a tiré de nombreux concepts fort pertinents et éclairants. Cela doit mettre en garde contre une spécialisation trop rapide des étudiants dans le seul domaine de leur recherche de thèse. La solution des problèmes est quelquefois analogiquement présente dans un tout autre chapitre de la physique. La nature réutilise souvent les mêmes techniques dans des domaines très différents. Pour cette raison, entre autres, la culture scientifique est un élément fondamental de l’apprentissage du métier de chercheur. Un préalable que j’estime indispensable.
Les étoiles alchimistes
La découverte des phénomènes nucléaires dans les années 1920 avait accrédité l’idée que les éléments chimiques peuvent changer de nature, se transformer les uns en les autres. La transmutation, le rêve des alchimistes médiévaux, était devenue possible et le laboratoire de physique nucléaire était désormais le lieu où ces métamorphoses pouvaient s’accomplir. On pourrait même changer du plomb en or, mais le prix en serait rédhibitoire : un gramme d’or ainsi obtenu coûterait infiniment plus cher qu’un gramme d’or acheté dans le commerce. En fait, l’intérêt de cette découverte était ailleurs. On pouvait ainsi imaginer l’existence de laboratoires de physique nucléaire naturels, comme, par exemple, l’intérieur des étoiles. Une température suffisante permettrait d’amorcer les réactions responsables de telles transmutations.
Après la guerre, l’astrophysique était en pleine effervescence à Cornell. De retour de Los Alamos, où ils avaient activement participé à la fabrication de la bombe atomique, plusieurs physiciens avaient été accueillis dans le département de physique, le Rockefeller Center. À leur tête, Hans Bethe avait décrypté le mécanisme de la génération d’énergie dans le Soleil. Au centre de notre étoile, où règne une température de 15 millions de degrés, l’hydrogène se transforme en hélium (voir annexe 1, fig. III).
L’origine nucléaire de l’énergie stellaire étant admise, restait à mettre au point le détail des réactions impliquées.Les mesures en laboratoire des propriétés des noyaux jouèrent un rôle essentiel dans l’élaboration de ce projet. L’idée qu’on pouvait comprendre ce qui se passe dans les étoiles en utilisant des tables de masse de noyaux atomiques m’émerveillait. Puissance toujours aussi stupéfiante de l’esprit humain.
La genèse stellaire des atomes
Grâce à la construction d’accélérateurs toujours plus performants, grâce aux progrès de la science nucléaire, on pouvait donc aborder la question de l’origine des éléments chimiques. D’où viennent les atomes de carbone, d’oxygène, de fer, d’uranium, etc., qui se trouvent aujourd’hui sur la Terre et dans les étoiles ? Où se sont-ils formés ? Par quels phénomènes se sont-ils multipliés jusqu’à atteindre leur population actuelle ?
C’est à Fred Hoyle que nous devons la théorie dite de la « nucléosynthèse stellaire ». L’hydrogène, omniprésent dans les étoiles, est la brique fondamentale de la formation des atomes. Les éléments chimiques se
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