Je n'aurai pas le temps
Puis nous avons préparé, Jackson et moi, un long article pour une revue scientifique. Le jour où nous allions le poster, nous avons reçu le dernier numéro de cette publication, dans lequel figurait une étude portant sur le même sujet : un auteur en Angleterre avait fait le calcul et obtenu les mêmes résultats. Déception : ma thèse est impubliable (c’est extrêmement important pour les étudiants), mais quelle satisfaction de voir mes conclusions confirmées dans leurs moindres détails ! Je faisais mes premiers pas dans le monde de la recherche, avec ses joies et ses frustrations.
Pour une carrière scientifique, il était recommandé, après la maîtrise (MSc), de faire un doctorat dans une grande université américaine. De préférence au sein de l’Ivy League, qui regroupe les institutions les plus prestigieuses : Princeton, Harvard, Columbia, Yale, Cornell, et quelques autres comme Ann Harbor, Chicago, Stanford, Berkeley.
Y accéder n’était pas facile. Les graduate schools de ces instituts reçoivent chaque année d’un peu partout dans le monde un nombre considérable de demandes, dont ils ne retiennent qu’une infime proportion.
Je remplis une bonne dizaine de formulaires destinés à plusieurs de ces universités. Je reçus deux réponses positives, une de Cornell dans l’État de New York, l’autre d’Ann Arbor dans l’État du Michigan. Sachant qu’on s’y intéressait beaucoup à l’astrophysique nucléaire, j’eus vite fait de porter mon choix sur la première. De plus, Cornell était beaucoup plus proche de Montréal qu’Ann Arbor. Je pourrais plus facilement revenir voir ma famille pendant les vacances. Ce que je ne pouvais pas deviner par contre, c’est à quel point ce choix me serait favorable sur le plan professionnel…
Chapitre 10
À l’université Cornell : les étoiles alchimistes
L es vacances d’été n’étaient pas tout à fait terminées quand j’arrivai à l’université Cornell, où j’avais été accepté pour préparer un doctorat en physique.
Les bâtiments sont déserts. Cherchant vainement quelqu’un pour me renseigner, j’explore les lieux et repère le tableau des enseignants. J’y reconnais les noms prestigieux des chercheurs dont les travaux me sont depuis longtemps familiers, et pour lesquels j’éprouve la plus grande admiration. Ainsi, je suis admis dans leur Olympe ! Je vais les rencontrer en personne ! Assister à leurs cours ! Cette perspective me ravit !
Marié depuis peu, les premières années à Cornell furent difficiles sur le plan financier. Traversant une grave période dépressive, suite à une grossesse, ma femme Francine ne peut prendre l’emploi de secrétaire sur lequel nous comptions pour financer notre séjour. C’est grâce à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal que je peux m’en sortir. Je reçois une généreuse subvention, appelée « Prêt d’Honneur », à rembourser quand je le pourrais et sans intérêt. Je profite ici de l’occasion pour exprimer à cette société toute ma reconnaissance.
J’ai vécu à Cornell des moments délicieux. Mes souvenirs sont nets : une salle de cours, un professeur. Il parle d’un sujet que j’ai envie de connaître. Il me donne la clef d’un problème dont je cherche depuis longtemps lasolution. J’apprends toujours quelque chose de nouveau. Aucune grippe ne peut me retenir à la maison, rien ni personne ne peut m’empêcher d’aller assister aux cours.
Les matières les plus importantes – mécanique quantique, physique statistique, physique nucléaire, théorie de l’état solide – étaient enseignées par des professeurs différents, chercheurs de renom, connus pour leurs contributions dans ces disciplines. Dans la mesure du possible, je suivais assidûment l’ensemble des cours. La première année, j’apprenais plus ou moins péniblement le formalisme du sujet. Les années suivantes, la familiarité acquise, je reprenais le même cours et je le pénétrais plus à fond. Et surtout j’appréhendais mieux la vision personnelle de l’enseignant, sa façon de comprendre et d’interpréter les diverses énigmes que posent toujours ces percées quant à la « réalité » de la matière et à sa nature. Sur ce plan, la théorie quantique des atomes laisse place à de nombreuses interprétations, encore discutées aujourd’hui. J’ai pu entendre les versions de Bethe, de Salpeter, de Feynman, et d’autres encore…
Autre
Weitere Kostenlose Bücher