Je n'aurai pas le temps
solaires
Un jour, à Cornell, un chercheur est venu nous donner une conférence sur certains noyaux atomiques qui, selon la théorie, pourraient exister dans la nature mais que personne n’avait encore réussi à détecter. Dans la liste figurait une variété très légère de l’élément lithium (le lithium-4).Il me vint l’idée que si ce noyau existait, il devait jouer un rôle fondamental dans la transformation de l’hydrogène en hélium. Je calculai que son intervention se manifesterait alors par l’émission d’un flux de neutrinos bien supérieur à celui que nous constations. Sa présence aurait également pour effet d’accélérer prodigieusement la fusion solaire. Résultat : le Soleil aurait brûlé très rapidement toutes ses réserves d’énergie et la vie n’aurait pas eu le temps de se développer sur la Terre ! Seule conclusion possible : ce noyau doit être instable et se désintégrer trop rapidement pour pouvoir jouer un rôle dans les brasiers stellaires…
J’en fis le sujet d’une de mes premières publications. Plus tard, des observations en laboratoire montrèrent qu’effectivement ce noyau se désintègre en une infime fraction de seconde après sa formation. En conséquence, le lithium-4 ne joue, en effet, aucun rôle à l’intérieur du Soleil. Ainsi, comme le joueur au puzzle, en juxtaposant des informations provenant de sources différentes (nos connaissances sur le Soleil et le fait que nous sommes là !), j’avais pu ajouter une petite pièce à l’édifice de la physique nucléaire. La capacité analytique de la science à déchiffrer les secrets de la nature n’a jamais cessé de me stupéfier.
Un coup dans l’eau
Avec un ami mathématicien, Benoît Lachapelle, j’eus l’occasion de fréquenter les séminaires de mathématiques de l’université. Souvent, dès les premiers mots, je réalisais que je ne comprendrais rien, que si le conférencier avait parlé chinois ma situation aurait été semblable. Mais j’étais grisé par ce langage et j’appréciais de me trouver dans ce cénacle de brillants esprits.
Avec mon ami, nous entreprîmes un jour de démontrer un théorème nouveau qui m’intéressait. Il pourrait avoir des applications dans l’interprétation des expériences dephysique nucléaire. Je présentai nos résultats à Hans Bethe qui se montra très intéressé et me proposa d’en faire une publication commune, titrée « Inequality Relations for Scattering Cross Sections », dans la revue Annals of Physics. Dans les semaines qui suivirent sa publication, nous reçûmes une centaine de demandes de copie de notre article. Je donnai un séminaire sur ce sujet au département de physique. Mon patron, Ed Salpeter, nous signala que, d’abord ces relations mathématiques pouvaient être obtenues beaucoup plus facilement, et ensuite qu’il était peu probable qu’elles soient de quelque utilité pratique. Cette opinion nous fut confirmée par le fait que nous n’en entendîmes plus jamais parler. Je me consolai en me disant que je n’avais pas eu beaucoup de chance, mais que la prochaine fois ça serait peut-être mieux !
Ed Salpeter, mon directeur de thèse
Comme beaucoup de ses confrères, Ed Salpeter, élève de Bethe, avait fui l’Europe pour échapper aux persécutions antisémites. Involontairement, Hitler a fait de bien beaux cadeaux aux États-Unis… Comme je l’ai dit plus haut, Salpeter avait démontré qu’après l’épuisement de l’hydrogène, l’hélium devenait (à son tour) un carburant stellaire, engendrant du carbone et de l’oxygène dans le cœur des géantes rouges. La question se posait de savoir si, après épuisement de l’hélium, le carbone pourrait à son tour prendre la relève, et dans quels contextes astrophysiques. Pour y répondre, on ne pouvait compter que sur les connaissances théoriques des propriétés générales de la force nucléaire. En effet, aucun travail de laboratoire n’avait encore été effectué pour élucider expérimentalement la nature des interactions entre les noyaux de carbone.
J’eus la grande chance qu’il m’accepte comme thésard. L’idée de contribuer personnellement à la découverte del’histoire des étoiles me transportait littéralement et je me mis à la tâche avec énergie.
Mon sujet de thèse me permettait de renouer avec de vieilles amies stellaires : Bételgeuse, Antarès, Aldébaran, toutes ces géantes rouges dont j’avais fait la
Weitere Kostenlose Bücher