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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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souvenir : il y avait des chiens errant sur le campus. Vieux et bancal, l’un d’eux, baptisé Tripod, entrait régulièrement dans les salles de cours, dont les portes restaient toujours ouvertes. Le bruit régulier de ses trois pattes se superposait aux paroles du professeur et au crissement des craies sur le tableau noir. Lorsqu’un enseignant l’y invitait, il venait étendre devant nous son long corps mutilé. L’un d’eux dit un jour : « Je ne peux vraiment pas commencer sans lui ! » Qu’il fût handicapé ne nous empêcha pas d’en faire la mascotte des lieux… bien au contraire !
    Dès son arrivée à l’université, tout étudiant en physique était pris en charge par un special committee de trois personnes, choisies par lui-même, pour suivre le déroulement de son cursus. Ce comité devait être composé de deux physiciens et d’un mathématicien. À la fin de chaque semestre,après un examen oral visant à contrôler les connaissances acquises, ce cénacle décidait des nouveaux cours que l’étudiant devrait maintenant suivre.
    Il nous était aussi demandé d’assister aux séminaires du département. Mais n’eût-ce pas été imposé, qui aurait voulu rater les exposés des chercheurs notoires comme George Gamow, Linus Pauling, Thomas Gold et Freeman Dyson ? Les discussions se poursuivaient à la cafétéria, où les élèves se restauraient avec les enseignants et leurs invités.
    L’ambiance était exaltante. Je me sentais comme immergé dans un bain de science et de créativité aussi intensément intellectuel que profondément émotif. J’y recevais deux messages. Le premier : ici, la science est en marche ; c’est un creuset où elle s’élabore. Quelle différence avec les universités que j’avais précédemment fréquentées, qui se cantonnaient surtout à divulguer ce qui s’était fait auparavant. Le second message : je peux moi-même participer à cette aventure. Tout m’y invite et semble me faire confiance. Ainsi, croisant un jour dans un couloir Hans Bethe, qui connaissait mes travaux antérieurs, je l’entends me dire : « I am glad that you are here » (« je suis content que vous soyez ici ») ; mots brefs, certes, mais dont la portée est pour moi toujours la même, des décennies plus tard !
    Cet accueil fait aux étudiants, ce contexte favorisant leur participation, cet environnement où la coopération, les échanges et les discussions en groupes sont monnaie courante, me donnent des ailes.
    Philip Morrison : le professeur dont vous avez toujours rêvé…
    Victime de la polio dans son enfance, il entrait dans la salle de cours d’un pas rapide, à l’aide de béquilles qu’il manipulait agilement, et grimpait sur l’estrade à la forcede ses bras. Son cours commençait aussitôt à une allure d’enfer : « Attachez vos ceintures, et attention au départ. » Son visage à l’expression un peu enfantine, plein d’esprit, avec une pointe de malice, s’illuminait alors d’un coup. Chacun s’accrochait à son débit rapide, bien décidé à ne pas en perdre un mot. On avait l’impression de participer à la grande fête de l’intelligence. Clair au point d’en être lumineux, il était également spirituel, moqueur, parfois même corrosif. Ainsi, après un long exposé sur les phénomènes électromagnétiques associés aux communications et en particulier à la télévision, il avait ajouté avec un sourire facétieux : « Et tout cela pour véhiculer la quantité d’inepties dont les télés nous abreuvent tous les jours. »
    J’aimais sa façon d’enseigner à la fois la physique et le métier de physicien. Souvent, son mode de pensée, tout autant synthétique qu’analytique, me revient en mémoire quand j’aborde un problème nouveau. Ses conférences « grand public » étaient également très appréciées. J’y allais non seulement pour m’instruire, mais aussi pour étudier sa technique, pour faire miens ses « trucs » destinés à accrocher son auditoire. Je n’en manquais aucune. J’appréciais surtout sa vaste culture, qui s’étendait pratiquement à tous les domaines de la science et des arts. À la cafétéria, où mes camarades et moi déjeunions souvent avec lui, il nous entretenait aussi bien des peintures rupestres de Lascaux, que de l’abbé Breuil, célèbre paléontologue qu’il avait connu personnellement, ou de la musique japonaise contemporaine.
    Depuis la fin de mes études (en

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