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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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résultats des expérimentations. Ça ne colle vraiment pas ! Impressionnés par la personnalité de notre professeur, et ne sachant trop comment réagir, personne n’ose prononcer un mot. « En voyant cette courbe, j’ai compris que quelque chose n’allait pas comme je l’aurais désiré », précise-t-il, avant d’ajouter avec un air badin : « À ma décharge, je dois vous dire que, ce jour-là, j’étais à la plage, au bord du lac de Genève, et que les bikinis m’ont quelque peu distrait ! Il fallait modifier les hypothèses. Voici le nouveau résultat. » Il nous montre alors un second graphique : « Comme vous le constatez, ça ne s’est pas amélioré ! J’ai donc dû recommencer une fois de plus. » S’ensuit une série d’autres schémas, sur lesquels aucun progrès notable n’est visible. Manifestement, la tentative se solde par un échec… Long silence. Il nous regarde, puis reprend : « Vous êtes surpris et déçus. Vous vous demandez à quoi tout cela rime, pourquoi je vous présente tous ces vains efforts. Vous pensez peut-être que je vous fais perdre votre temps… Non, bien au contraire !
    « Quand quelques “grands professeurs” vous présentent les résultats mirobolants de leurs travaux géniaux, vous avez l’impression qu’ils réussissent facilement tout ce qu’ils entreprennent. Cela vous impressionne tout autant que cela vous déprime. Par cet exemple personnel, j’ai voulu vous montrer qu’eux aussi rencontrent souvent des échecs. Qu’ils peuvent rester longtemps dans le noir avant d’arriver à quelque chose. Dites-vous que le “grand professeur” a fait lui aussi beaucoup d’erreurs, peut-être les mêmes que vous, mais… avant vous ! Simplement, il a persisté. »
    Feynman assistait souvent aux soirées du département. Il y apportait son tambour, dont il jouait très bien. Un soir,après la fête, ma femme Francine et moi l’avons reconduit chez lui en voiture. Il était triste. « Vous avez beaucoup de chance de rentrer ensemble, dit-il. Ma femme est morte d’un cancer il y a quelques années et son souvenir me revient douloureusement quand, seul, le soir, je rentre chez moi. »

    Un essai raté : les météorites sur la face cachée de la Lune
    La rapidité et la profondeur de la connaissance qu’avait Feynman de la physique étaient proverbiales. J’eus une autre occasion de m’en rendre compte quelques années plus tard, en 1968. Les sondes soviétiques venaient d’observer pour la première fois la face cachée de la Lune. À la surprise de tous, on n’y voyait aucune structure comparable aux grandes surfaces sombres appelées « mers » qui parsèment la face visible et qu’on aperçoit à l’œil nu. Ces mers, on le sait maintenant, ont été provoquées par des impacts de météorites géantes aux premiers temps du Système solaire.
    J’entrepris de trouver une explication à ce phénomène en termes de déviation de ces bolides par le champ de gravité de la Terre avant l’impact sur la Lune. Mon explication, qui avait nécessité de longs calculs, semblait crédible. Je la présentai à Feynman. Il me montra que mon hypothèse ne pouvait être valable puisqu’elle était incompatible avec un théorème fondamental de la physique céleste formulé par Joseph Liouville en 1844. Je dus me rendre à l’évidence et oublier mon idée, qui m’avait pourtant paru lumineuse.

    Le milieu scientifique et ses ombres
    Mes premiers contacts avec le monde scientifique – d’abord à la Trappe d’Oka avec le Père Louis-Marie etensuite à l’université de Montréal – m’en avaient laissé une impression assez idyllique. Ici se vit, me disais-je, le noble culte du savoir et de la recherche pour comprendre l’Univers, loin de la vanité et de l’ineptie de bien des préoccupations humaines. J’ignorais qu’aucun milieu, même celui-ci, n’est exempt de mesquinerie, de jalousie, d’une âpre compétition et des « coups bas » qui peuvent en résulter.
    La première fois que j’ai eu affaire à la face sombre de ce milieu date de ma thèse, en 1959. Après quelques mois de recherches, j’étais arrivé à des résultats assez encourageants sur la possibilité de fusion thermonucléaire du carbone dans des étoiles dont la température avoisinerait le milliard de degrés. C’est à ce moment-là qu’un physicien de passage à l’université (que je laisserai dans l’anonymat) me questionne sur le sujet de mon

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