Je Suis à L'Est !
pô » qui porte, entre autres, entorse au principe de négation dans « je ne sais pas ». Les mots et phrases sâabrègent, la tonalité ou mélodie du langage gagne en importance ; autant dire que les échanges deviennent largement incompréhensibles.
Les stratégies sociales, malheureusement celles exprimant ou visant le mépris, deviennent plus élaborées. Un enfant en bas âge, pour marquer son rejet de quelquâun, donne une baffe, dit un gros mot. à lâadolescence, on fait mine de sâintéresser à vous tout en vous tendant des pièges. Pour, par exemple, avoir un moment de rigolade à vos dépens. Dans le cas des jeunes avec autisme, quelquâun peut faire semblant de sâintéresser à ce qui vous passionne, mais dans lâunique but de se moquer de vous en vous écoutant débiter votre monologue préféré sur les chromolithographies ou lâhistoire de la dynastie Ming.
Lâune des difficultés tient à ce que, à force de vivre et revivre cette même situation, on devient méfiant, voire un peu paranoïaque. Chaque fois que quelquâun est gentil, vous dit bonjour, on se demande à quel point il sâagit de manipulation et quel coup bas est en préparation.
Quant à moi, au collège, mes comportements bizarres ne manquaient pas. Lâun dâeux était lâabsentéisme. Autant jâavais été ponctuel et assidu en sixième et cinquième, autant en quatrième, comme cela avait été le cas en CM1 dâailleurs, je me montrais fort peu. Je pouvais ne pas venir au collège pendant deux mois, puis revenir pour une ou deux semaines, puis mâabsenter à nouveau. Mes enseignants lâacceptaient tant bien que mal, probablement parce quâils savaient que jâavais le niveau sur le plan purement scolaire. Ils savaient que je faisais parfois les exercices de ma grande sÅur, et un arrangement tacite avait cours avec mes parents. Jâignore la possibilité de pareille chose dans des établissements publics ou de taille plus conséquente. à lâépoque, ces absences représentaient ma planche de salut pour ne pas craquer dans le milieu très dur du collège. Au demeurant, il ne faut pas croire que jâétais allongé dans mon lit à écouter lâherbe pousser. Je lisais ce qui me plaisait. Dâailleurs, pour la petite histoire, il y a eu quelques moments délicats : alors que jâétais censé être malade, tel ou tel prof me croisait avec plusieurs gros sacs, rentrant de la bibliothèque⦠La maladie était apparemment synonyme de maladie physique visible pour beaucoup. Mais que signifiait maladie dans un tel cadre ?
Un autre de mes comportements bizarres est peut-être plus difficile à expliquer au lecteur sans que ce dernier ne me place dans la zone susmentionnée des pathologies sans espoir de rémission. En sixième et cinquième, je souffrais dâune sorte de lubie ou de passion pour la trigonométrie, et jâavais bricolé moi-même des sextants et autres engins analogues, sur le modèle de ceux usités par les non moins excentriques personnages de Jules Verne. Avec eux, je pouvais mesurer les bâtiments dans la cour de lâécole. Calculer leur hauteur, puis celles de chaque étage. Jây passais mes récréations. Plusieurs surveillants et camarades de classe se sont inquiétés pour ma santé mentale. Me questionnant, et mâentendant évoquer cosinus et autres tangentes, peut-être avaient-ils eu confirmation du caractère devenu délirant de mon discours. Ce nâétait quâun début.
Quand lâexcellence se fait sérieuse : au lycée
Avec le temps qui passe, les mines des responsables du collège se font sérieuses. On nous fait comprendre que nous sommes désormais des « grands ». Un terme qui mâa toujours questionné, comme on dit dans un jargon se voulant scientifique. Ne nous lâavait-on pas déjà dit en CP ? Quoi quâil en soit, nous allions entrer au lycée. Ce terme mâévoque toujours le lycaon, avec lequel il partage le même et inhabituel début.
Après une assez longue négociation de la part de mes parents, jâai pu continuer ma scolarité dans un petit lycée privé où tout le monde se connaissait.
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