Je Suis à L'Est !
lâautisme est, là encore, par rapport au handicap en général, en retard de plusieurs décennies sur le plan de la maturation mentale.
Il y a pire. La question de la souffrance pourrait être disjointe de bien des thématiques liées à lâautisme ; en dâautres termes, lâhypothétique cessation de la souffrance, pour reprendre lâexpression des bouddhistes, ne résoudrait probablement quâune fraction des autres problématiques. Pour le dire autrement : supposons que je souffre beaucoup ; si vous arrivez à lever ma souffrance, est-ce que cela changera réellement quelque chose pour moi au niveau de mes structures de fonctionnement, de mes particularités, autistiques ou autres ? Si vous vous cassez une jambe, vous prenez des antalgiques, mais la jambe restera toujours en lâétat. Peut-être que, au contraire, câest dangereux parce que vous pourrez être tenté de croire que votre jambe est guérie, ferez des mouvements qui ne feront quâaggraver votre cas. La souffrance est présente, elle est très importante, mais est-ce que vous pouvez imaginer une vie humaine sans souffrance ?
Peut-être que ce long passage sur la souffrance surprendra. Sa finalité nâest pas purement spéculative. Je nâai ni les aptitudes ni lâenvie de dresser une nouvelle théorie de la souffrance. Elle est purement pratique. Car plus dâune fois, interrogé par des professionnels de lâautisme, jâai été surpris de leur insistance sur cette thématique. à tel point que jâai cru comprendre que la souffrance de lâautiste était une nécessité vitale pour le praticien. Dans les cas désespérés, câest-à -dire sans souffrance, ce dernier aura parfois recours à lâargument irréfutable : vous souffrez tellement que vous ne vous en rendez même pas compte. Cela est possible, mais ôte la possibilité de toute discussion rationnelle. Et qui est fâcheux pour les personnes opérées sous anesthésie, qui ne se rendent même pas compte quâon est en train de les découper.
Certains de mes amis ont une formulation encore plus brutale, et étendent le raisonnement à dâautres points que la seule gestion de la souffrance. Selon eux, le packing, les médicaments et autres méthodes de guérison de lâautisme sont des nécessités absolues⦠pour le praticien, son équilibre psychique et financier. Je le comprends en grande partie, je nâaimerais pas être dans la position du professionnel dont ont attend le salut, et qui nâa rien à proposer aux parents. Je laisse chacun juge sur le fond. Jâaime pour ma part la petite phrase de Coluche, qui disait à peu près ceci : jadis, je faisais pipi au lit et jâétais honteux. Je suis allé chez un spécialiste, jâai payé dix mille francs. Maintenant, je fais pipi au lit comme avant, mais jâen suis fier.
Lâhumour
Un jour, à la fin dâune conférence, une dame, fort étonnée, mâa demandé pourquoi jâavais raconté des blagues, alors que je nâétais pas censé savoir rire. Une autre fois, plus gênant, une maman mâa attaqué, en disant quâon ne pouvait rire de tout, que rire de lâautisme gommait la gravité de la situation. Je suis désolé si mon numéro a offensé qui que ce soit. Mais je ne peux simplement pas vivre sans petites histoires. Peut-être ai-je manqué ma véritable vocation, celle de comédien, ou plutôt dâauteur de sketches. Je crois que lâêtre humain est celui qui rit, quâon le veuille ou non. Il y a peut-être là une semi-constante anthropologique que, bien sûr, je ne peux pas démontrer.
Si je ne devais retenir quâune chose des centaines dâadultes avec autisme que jâai eu la chance de fréquenter, ce serait peut-être quâils ont beaucoup dâhumour. Bien sûr, il faut le découvrir, prendre la peine de voir quâil existe, quâil est différent de celui que lâon connaît. Il faut accepter lâidée quâil nây a pas dâhumour dans lâabsolu, que nos petites blagues qui nous font rire ne sont ni universelles, ni les meilleures.
Pour donner un exemple : quand jâétais petit, je connaissais des centaines de blagues, sur
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