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Je Suis à L'Est !

Je Suis à L'Est !

Titel: Je Suis à L'Est ! Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Josef Schovanec
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du ministère, dirait l’autre…
    Je me suis régulièrement demandé d’où venaient les marques de distinction sociale. Cette étrange volonté d’être « classe ». Il y en a de multiples formes, mais avec un mécanisme commun. En France, on se définit par l’école que l’on a fréquentée ; en Allemagne, par la discipline que l’on a suivie : en France, on est « ancien élève de… », en Allemagne, on est « philologue » ou « romaniste ». Au moins le second modèle, malgré ses défauts, contient-il une allusion au contenu d’un certain savoir, au-delà d’un label dénué de sens. La « grande école » n’est pas, chez nous, un bâtiment imposant par ses dimensions, mais quelque chose de très enviable. Sa traduction littérale la plus proche en anglais, high school , est en revanche un lycée sans autre distinction. Il ne faut pas s’y tromper quand on parle : sous la langue, les hiérarchies. Alors qu’il faut briller, on trouve flatteur d’avoir été dans une école « normale » supérieure – son homologue l’inférieure n’existant pas, malgré mes recherches. Ou d’avoir été adjoint au troupeau ( grex, gregis en latin), c’est-à-dire agrégé.
    J’ai souvent été amusé par les jeux sociaux autour de deux de mes diplômes : celui de Sciences Po et mon doctorat en philosophie. En Allemagne, tout le monde se moque de Sciences Po. Personne ne sait ce que cela veut dire. Et quand, gêné, on essaie d’expliquer, ou plutôt de s’expliquer face à une si étrange rubrique de classification, les rires plus ou moins contenus sur les Français tiennent lieu de réponse. En revanche, sur les billets de train, ou les billets d’avion, il y a écrit : « Monsieur le Docteur XYZ. » De même sur les enveloppes des courriers qu’on m’envoie d’Allemagne. En France, on m’a déjà demandé pourquoi diantre j’avais décidé de faire médecine. Peu à peu, j’ai cru comprendre que ces amusantes petites histoires avaient, hélas, de profondes répercussions sur la vie des gens. Un long parcours, un très long apprentissage d’autiste. Qui débouche, comme souvent, sur la curieuse impression de ne plus trop savoir qui est l’autiste et ce qu’il lui faut acquérir que les autres ont, contrairement à lui.
    Arrivée de l’autiste à la cour
    Sciences Po, c’est un fabuleux miroir grossissant de la société. Ce miroir m’est tombé dessus à un moment de ma vie où je n’étais pas du tout rodé. J’ai vécu mon entrée dans la cour sur un mode quasi tragique. Ou plutôt tragi-comique, vu avec un peu de recul. Des ressentis aussi contradictoires et, en dernière analyse, absurdes que le mot « cour » lui-même compte de significations, la basse étant pour la volaille, la haute pour les criminels, la cour tout court tantôt pour ces derniers, tantôt pour les courtisans, la faveur du prince tenant souvent lieu de séparation ultime entre les catégories.
    Le premier jour, en arrivant à Sciences Po, je ne savais pas trop dans quel étrange établissement je tombais, à quoi m’attendre, si ce n’est que le terme « politique » dans le titre m’évoquait ces universités d’État mises jadis en place par l’URSS pour former ses gens, une référence décalée, que j’étais sans doute le seul à avoir en tête, dont je savais qu’il ne fallait pas parler pour ne pas être mis à l’écart dès les premiers instants, mais qui à la longue allait, que je le veuille ou non, influencer ma vision des choses.
    J’étais arrivé très tôt le matin, au moins deux heures avant l’heure de la convocation, parce que je ne savais pas trop jusqu’à quel point il fallait venir à l’avance. Donc dans la nuit, au tout petit matin, j’attendais dans la rue noire, devant la porte close, étonné d’être seul, angoissé de m’être trompé de lieu ou de date, un énorme sac sur le dos avec un peu de tout, des réserves de nourriture à un stock de papier de toilette, paré à

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