Je Suis à L'Est !
dâ Ãloge de la faiblesse .
Il y a le dernier livre du neurologue et écrivain Oliver Sacks, LâÅil de lâesprit , dans lequel il nous révèle que, depuis son enfance, il ne reconnaît pas les visages. Ni les lieux. Ni même son propre visage dans le miroir. Les visages et les lieux sont pour lui, depuis toujours, des labyrinthes sans fin dans lesquels il se perd.
Que nous dit, dâOliver Sacks, cette singularité ? Les difficultés quâil a vécues depuis lâenfance, lâincompréhension de la plupart de ceux quâil rencontre, qui le croient méprisant ou indifférent, et le travail considérable quâil a accompli pour compenser ce handicap. Et ceci encore : que cette incapacité à inscrire dans sa mémoire les traits des visages a peut-être contribué à lâengager dans cet extraordinaire élan vers lâautre, et dans cette quête de ce quâEmmanuel Levinas appelait le véritable visage. Ce visage invisible, si intime que seul lâÅil de lâesprit et du cÅur peut sâen approcher.
Et il en est de même pour Josef.
Cette singularité est une part de ce quâil est, sa part de vulnérabilité, mais elle est aussi sa richesse, cet immense travail quâil accomplit sur lui-même, et la profondeur du regard quâil porte sur le monde, sur lui-même et sur les autres. Muet, enfant, alors quâil savait déjà lire et écrire, il a fait de lâétude des langues une passion, une éthique, qui le mène à la rencontre de lâautre, essayant de le comprendre à partir de ce quâil a de plus intime, et tentant, aussi, de préserver le trésor si fragile quâest chacune de ces langues dans sa singularité.
Lâéthique, dit Paul RicÅur, consiste à se penser « soi-même comme un autre ». Pas se contenter de penser lâautre comme sâil était nous-même, mais avoir lâhumilité de devoir sâimaginer « soi-même comme un autre », que lâon ne connaît pas, et quâil va falloir découvrir en allant à sa rencontre. Lâautre, toujours à découvrir, toujours à reconnaître, toujours à réinventer. Comme un manque, en nous, de la part de nous qui est dans tous les autres.
Josef Schovanec mâa permis, par lâintermédiaire de son regard, de découvrir une dimension de la réalité qui mâétait jusque-là demeurée inconnue.
Câest un livre bouleversant. Dâune exceptionnelle délicatesse, dâune extrême émotion. Un extraordinaire récit dâaventures, empli dâesprit, dâélégance, de courage, de la distance de lâhumour et de la profondeur dâune culture sans frontière.
Une leçon de vie. Une leçon dâhumanité.
Jean Claude A MEISEN ,
médecin et chercheur,
membre du Comité consultatif national dâéthique
Avant-propos
Un soir, dans un gymnase de banlieue, une conférence est donnée par un personnage tout droit sorti dâun film de Tim Burton, grand échalas à lâallure si étrange. La voix est lente, lâaccent est dâailleurs, les mots sont précis, lâhumour est féroce et la salle rit beaucoup.
Démarrant une enquête pour les besoins de mon film 1 , jâai une connaissance de lâautisme et des autistes alors proche de zéro. Cette première rencontre avec Josef Schovanec va bousculer bien des a priori et déterminer pour une bonne part le sens de mon travail. Elle a été une révélation autant quâune découverte. Dâabord celle dâun homme brillant, plein dâesprit, à la parole ciselée et dâune humanité aussi touchante que désarmante. Ensuite la découverte de ce qui mâapparaîtra vite comme un scandale de santé publique, celui qui fait de la France lâun des pays les plus en retard dans le diagnostic de lâautisme, comme dans le traitement et lâaccompagnement des personnes porteuses de ce handicap.
Atteint du syndrome dâAsperger, Josef Schovanec est resté muet jusquâà lââge de six ans. Ses difficultés dâélocution étaient si fortes que seul son entourage proche pouvait le comprendre. Il est même probable que sans la détermination de ses parents à ne pas accepter la thèse dâun
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