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Je Suis à L'Est !

Je Suis à L'Est !

Titel: Je Suis à L'Est ! Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Josef Schovanec
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de « basse » cour
    Parmi ces phénomènes sociaux étranges qui sans doute m’échapperont toujours, susciteront l’incrédulité et ce délicat mélange émotionnel que l’on ressent lorsque l’on croit être face à un canular, j’ai remarqué que lorsque je parle, les gens ont parfois de bien curieuses réactions. Souvent, leur attention est fluctuante, certains écoutent, d’autres pas, sans que l’on puisse savoir pourquoi. Mais quand je glisse dans la conversation que j’ai fait Sciences Po, les gens sursautent et leur attitude change. Comme par enchantement.
    Je me suis souvent demandé pourquoi. Ou plutôt, si l’on n’accepte pas l’arbitraire social comme une bonne raison, qu’est-ce qui dans ce que je dis peut bien être intéressant ou pas du fait que je sois passé par tel ou tel établissement. Pourquoi mon passé serait-il plus important que le contenu de ma parole ?
    Assurément, quand on est immergé dans un environnement culturel donné, son arbitraire peut ne pas être apparent. Tel nom d’institut qui inspire le respect ici est totalement inconnu ailleurs. Et ce non pas sur une autre planète : en à peine plus d’une heure de train de Paris, nous pouvons arriver en des contrées reculées où Sciences Po est inconnu. Et où les gens vivent fort bien malgré tout. Ou bien des pays où le nom de Polytechnique, lorsqu’il est compris, évoque l’École polytechnique fédérale de Zurich.
    Peut-être que l’autisme apporte un décalage encore plus fort. Je peine toujours à me convaincre que j’ai bien « fait » – dans cette étrange acception du verbe « faire » – Sciences Po Paris. « Curieux établissement » est ma première pensée quand je me retrouve dans mes pérégrinations d’internaute sur son site Web. Les souvenirs personnels ne remontent qu’avec retard. Et pas toujours. Comment la photo d’un amphi récemment rénové, avec des sièges que je n’ai pas connus, et dont celui où j’étais toujours assis a été ôté, peut-elle m’évoquer aisément un vécu passé ? Pourquoi, au fait, porté par un modernisme sans logique apparente, a-t-on sacrifié l’âme d’un lieu ? N’évoquons pas même le nom. « Sciences Po » est un nom que j’ai mis des années à apprendre. Pour moi, j’avais fréquenté l’IEP, Institut d’études politiques, et non pas « Sciences Po ». Un IEP avec une silencieuse nostalgie pour l’appellation première, « École libre des sciences politiques ». L’adjectif « libre » étant, discret clin d’œil historique, un signe de nécessaire créativité, de non-institutionnalisation, de rêvasserie d’une matière universitaire dans son enfance, d’inspiration allemande à l’heure où les universités d’Europe centrale allaient atteindre leur apogée.
    Cependant, mon pire décalage est sans doute non pas avec un nom et un lieu, mais avec un cadre social. Que veut donc dire « carnet d’adresses » au sens figuré, lui que l’on dit chose la plus importante des prestigieux établissements ? Aujourd’hui, on parle plus de « réseaux ». Il faut les bâtir, les activer. Durant toutes ces années de Sciences Po, les miens sont restés à zéro. Je n’ai jamais mis les pieds dans un cercle ou groupe d’anciens. Mon nom ne figure pas dans l’annuaire en ligne de l’association des anciens élèves. À tel point que, récemment, d’aucuns m’ont accusé de n’avoir jamais été à Sciences Po. D’avoir tout inventé. De n’avoir pas été diplômé. Ce que je juge amusant : soit quelqu’un n’a pas d’aptitudes, et dans ce cas la vanité du diplôme doit être manifeste, soit il en a, et dans ce cas que change le fait qu’il ait ou n’ait pas été diplômé ? Au contraire, j’aurais tendance à accorder plus de considération à l’autodidacte. Que change le fait qu’un papier portant une phrase pompeuse soit ou non présent dans les archives personnelles ? Mystères

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