Je Suis à L'Est !
de « basse » cour
Parmi ces phénomènes sociaux étranges qui sans doute mâéchapperont toujours, susciteront lâincrédulité et ce délicat mélange émotionnel que lâon ressent lorsque lâon croit être face à un canular, jâai remarqué que lorsque je parle, les gens ont parfois de bien curieuses réactions. Souvent, leur attention est fluctuante, certains écoutent, dâautres pas, sans que lâon puisse savoir pourquoi. Mais quand je glisse dans la conversation que jâai fait Sciences Po, les gens sursautent et leur attitude change. Comme par enchantement.
Je me suis souvent demandé pourquoi. Ou plutôt, si lâon nâaccepte pas lâarbitraire social comme une bonne raison, quâest-ce qui dans ce que je dis peut bien être intéressant ou pas du fait que je sois passé par tel ou tel établissement. Pourquoi mon passé serait-il plus important que le contenu de ma parole ?
Assurément, quand on est immergé dans un environnement culturel donné, son arbitraire peut ne pas être apparent. Tel nom dâinstitut qui inspire le respect ici est totalement inconnu ailleurs. Et ce non pas sur une autre planète : en à peine plus dâune heure de train de Paris, nous pouvons arriver en des contrées reculées où Sciences Po est inconnu. Et où les gens vivent fort bien malgré tout. Ou bien des pays où le nom de Polytechnique, lorsquâil est compris, évoque lâÃcole polytechnique fédérale de Zurich.
Peut-être que lâautisme apporte un décalage encore plus fort. Je peine toujours à me convaincre que jâai bien « fait » â dans cette étrange acception du verbe « faire » â Sciences Po Paris. « Curieux établissement » est ma première pensée quand je me retrouve dans mes pérégrinations dâinternaute sur son site Web. Les souvenirs personnels ne remontent quâavec retard. Et pas toujours. Comment la photo dâun amphi récemment rénové, avec des sièges que je nâai pas connus, et dont celui où jâétais toujours assis a été ôté, peut-elle mâévoquer aisément un vécu passé ? Pourquoi, au fait, porté par un modernisme sans logique apparente, a-t-on sacrifié lââme dâun lieu ? Nâévoquons pas même le nom. « Sciences Po » est un nom que jâai mis des années à apprendre. Pour moi, jâavais fréquenté lâIEP, Institut dâétudes politiques, et non pas « Sciences Po ». Un IEP avec une silencieuse nostalgie pour lâappellation première, « Ãcole libre des sciences politiques ». Lâadjectif « libre » étant, discret clin dâÅil historique, un signe de nécessaire créativité, de non-institutionnalisation, de rêvasserie dâune matière universitaire dans son enfance, dâinspiration allemande à lâheure où les universités dâEurope centrale allaient atteindre leur apogée.
Cependant, mon pire décalage est sans doute non pas avec un nom et un lieu, mais avec un cadre social. Que veut donc dire « carnet dâadresses » au sens figuré, lui que lâon dit chose la plus importante des prestigieux établissements ? Aujourdâhui, on parle plus de « réseaux ». Il faut les bâtir, les activer. Durant toutes ces années de Sciences Po, les miens sont restés à zéro. Je nâai jamais mis les pieds dans un cercle ou groupe dâanciens. Mon nom ne figure pas dans lâannuaire en ligne de lâassociation des anciens élèves. à tel point que, récemment, dâaucuns mâont accusé de nâavoir jamais été à Sciences Po. Dâavoir tout inventé. De nâavoir pas été diplômé. Ce que je juge amusant : soit quelquâun nâa pas dâaptitudes, et dans ce cas la vanité du diplôme doit être manifeste, soit il en a, et dans ce cas que change le fait quâil ait ou nâait pas été diplômé ? Au contraire, jâaurais tendance à accorder plus de considération à lâautodidacte. Que change le fait quâun papier portant une phrase pompeuse soit ou non présent dans les archives personnelles ? Mystères
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