Je Suis à L'Est !
extraordinaires, il y a une part dâapprentissage, et il y a aussi lâaspect dâun don possible sous-jacent. Il y a des gens qui sont très doués pour la musique, ce qui nâest pas mon cas. Si vous me jouez trois notes, je suis incapable de les reconnaître cinq secondes plus tard. Et je parie que le plus doué des professeurs serait poussé au suicide sâil devait mâapprendre la musique.
Jâaime bien faire un petit parallèle. Quand on apprend des langues anciennes, on utilise très souvent des manuels, des dictionnaires et des grammaires qui ont été faits au XIX e  siècle par des « savants fous », notamment allemands. Ce sont des gens qui, pendant quarante ans, ont passé toutes leurs nuits à la lueur de la bougie à écrire sur tel ou tel trait morphosyntaxique de je ne sais quelle langue ancienne. Le travail est merveilleux parce que parfois il est quasiment parfait, en tout cas très difficile à dépasser. Mais on peut se poser des questions sur leur origine : est-ce que ce sont simplement les renonciations et les privations que les auteurs ont endurées qui lâexpliquent, ou est-ce quâils avaient des dons ? Quâest-ce qui fait quâun grand auteur est capable de produire son Åuvre ? Est-ce parce quâil utilise des éléments du langage quâil a appris à lâécole ? Ou bien est-ce parce que câest quelquâun qui sâest isolé dans la montagne pendant dix ans et, du fait dâune forme de masochisme, a réussi à produire son Åuvre ? On ne le sait pas. Heureusement que lâêtre humain peut garder ce qui fait son essence intime et son côté fondamentalement plaisant.
Intérêts spécifiques
Quand on rencontre une personne avec autisme, ce qui frappe souvent en premier est quâelle possède ce quâon appelle un intérêt spécifique, câest-à -dire quâelle consacre une bonne partie de son temps libre à un sujet qui la passionne. Cela peut être une collection de piles russes du XIX e  siècle, une certaine grammaire, des sujets plus socialement acceptés, comme les chevaux⦠tout est possible.
Les parents se demandent parfois sâils doivent laisser leur enfant avec autisme se consacrer à des sujets qui leur paraissent complètement stupides, ou sans intérêt. On peut retourner la question : vous, quâest-ce que vous faites en rentrant chez vous ? Certains regardent la télé, ou écoutent de la musique⦠est-ce nécessaire pour eux ? Les gens disent oui. Il convient de comprendre que pour lâenfant ou lâadulte avec autisme, lâintérêt spécifique est aussi utile, aussi nécessaire à la construction de sa personnalité et à son équilibre psychologique que le fait dâécouter de la musique, dâaller au cinéma, ou dâaller à la piscine avec des amis pour dâautres. Les gens ont parfois du mal à le comprendre et estiment quâécouter tel ou tel chanteur ou chanteuse est un loisir socialement accepté, alors que le fait de bouquiner dans une bibliothèque peut passer pour un loisir marginal, bizarre, inutile.
Au Japon, maîtriser le jeu de go est une aptitude majeure socialement très utile, voire quasiment nécessaire ; le niveau dans le jeu de go se met sur les CV⦠En France, beaucoup de gens ne savent même pas ce que câest. On peut supposer que si un enfant avec autisme se passionnait pour ce jeu, ses parents lui diraient : mais quâest-ce que tu fais ? Intéresse-toi à des choses plus passionnantes, va jouer au tennisâ¦
Quelle est lâutilité de ces intérêts spécifiques ? Ce ne sont pas que des lubies complètement arbitraires. Ils contribuent à lâélaboration de la personnalité, de ce que lâon est en tant quâêtre humain. Au bout de quelques années, ils peuvent déboucher sur un métier. Si un jeune avec autisme se passionne pour lâinformatique, il pourra peut-être devenir informaticien.
Ces intérêts spécifiques peuvent également contribuer à lâinsertion de la personne dans la société. Les personnes avec autisme, comme je lâai déjà expliqué, ont souvent une très mauvaise image dâelles-mêmes parce que tout le monde leur a dit et
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