Je Suis à L'Est !

répété combien elles étaient nulles et crétines. Le fait que tout le monde sache que la personne est compétente dans tel domaine très technique et compliqué peut changer la donne : « Mais il n’est pas si débile que ça, au fond ! » Si l’ordinateur des personnes autour de vous est en panne, si vous savez le réparer, ils feront peut-être appel à vous une autre fois, et peut-être aurez-vous un premier contact humain. Je pense que les intérêts spécifiques ne sont pas un ennemi, loin de là, et qu’une interdiction, une opposition frontale n’est pas une bonne solution.
    Certains enfants avec autisme ont un centre d’intérêt unique ; chez moi, ce n’était pas le cas : j’en avais beaucoup, qui alternaient et parfois se superposaient. L’avantage est que cela m’a permis de découvrir beaucoup de domaines ; l’inconvénient, que je ne suis spécialiste de rien. Dans mon enfance, comme je l’ai déjà dit, j’ai eu pendant des années une véritable passion pour l’Égypte ancienne. Je connaissais beaucoup de choses sur l’histoire des trente dynasties de pharaons. Récemment, sur Internet, je suis tombé sur des recherches conséquentes sur l’époque protodynastique en Égypte. J’ai été fasciné parce que, quand j’étais gamin, je ne disposais pas de tous ces matériaux et je me demandais toujours comment ce pays était avant les premiers pharaons fondateurs. Accéder à ces documents m’a assez perturbé. À près d’un quart de siècle d’écart, j’ai eu un petit choc émotionnel en les découvrant…
    Ce ne sont pas des lubies passagères qui font que l’enfant avec autisme fait ceci ou cela. Il s’agit de quelque chose de plus structurant dans sa personnalité, et qui reste ensuite toute sa vie. De là la nécessité de prendre en compte ces passions particulières, de faire en sorte que cela se passe bien à tous les niveaux pour l’enfant, et ensuite pour l’adulte avec autisme.
    J’ai également été passionné par la météo, sujet intéressant parce qu’il s’agit d’un domaine scientifique, avec beaucoup de connaissances techniques, d’une extrême mobilité et d’une grande diversité : le temps n’est jamais pareil, les nuages ne sont jamais pareils. Finalement, vous pouvez avoir recours à des modèles mathématiques et scientifiques particulièrement complexes, captivants, pour un phénomène qui est en permanence à découvrir.
    J’ai aussi eu ma période Japon. Malheureusement je n’ai jamais appris le japonais. J’étais trop jeune, et une telle option n’existait pas là où j’étais. Le seul sujet de conversation possible avec moi, à cette époque, était l’histoire, l’économie et la sociologie du Japon… Autant dire que je n’avais pas d’interlocuteurs de mon âge. Aujourd’hui, avec Internet, la donne serait peut-être différente.

    Stéréotypies
    Plus jeune, j’avais beaucoup de stéréotypies. Qu’elles se voient aujourd’hui peut-être un peu moins, j’en suis ravi, mais je pense quand même en avoir gardé un certain nombre. Il y a quelques années, je pouvais faire des battements de mains pendant des heures ; quand la personne que j’avais en face de moi racontait quelque chose d’intéressant, j’accélérais le mouvement. Je ne me rendais pas compte que cela pouvait être gênant pour mon interlocuteur. À la maison, je le fais parfois encore, quoique moins qu’avant. En public, j’essaie de ne pas agiter les mains, je me surveille pour éviter certains dérapages. Sauter de joie est pour moi pris au sens littéral ; le tout est de ne pas le faire en public – ou tard le soir, quand les voisins du dessous dorment. Lorsqu’on est adulte et plus soucieux de l’image que l’on renvoie, il y a des injonctions sociales… d’ailleurs malheureuses. L’une des raisons pour lesquelles les adultes apprennent plus difficilement les langues étrangères que les enfants est qu’ils tiennent souvent trop à leur fameuse « dignité ». Ils se sentent coupables lorsqu’ils