Je Suis à L'Est !
Elles sont un paramètre à prendre en compte en plus, câest tout. Le plus anormal, en somme, ne sont pas les balles qui rebondissent, mais tout le reste de la vie. Jâai lu La Métamorphose assez tardivement. Pourtant, jâaurais pu commencer par ce texte, tant le récit évoque ce qui était ou allait devenir ma situation. Enfin, avec Kafka, jâai découvert un monde qui mâétait familier, mais que je ne connaissais pas, celui de la vieille Europe centrale, disparue à jamais.
Premiers pas en langues
Assurément, un intérêt pour les langues est peut-être la dernière chose à laquelle on sâattendait de ma part. Je nâai dâailleurs jamais pu comprendre les ouvrages de théoriciens de la langue. On mâa dit que je nâétais pas le seul â maigre consolation. Ai-je une compétence pour ainsi dire de multilinguisme par effet du cadre naturel, un peu comme les heureux habitants de Tunis, Luxembourg, Tallinn et autres Samarkand, qui, même sans la moindre appétence particulière pour les langues, en parlent plusieurs sans même sâen rendre compte ? Une compétence à visée pratique, à savoir pour décoder textes et manuscrits relatifs à ce qui est censé être mon domaine de spécialité ? Une compétence de linguiste-autiste, expert des conjugaisons de lâoptatif duel des parlers archaïques des hautes vallées de la Poldévie orientale ? En somme, les langues ne me servent à rien de précis. Dans le cas inverse, je mâen serais sans doute vite lassé.
Lâhistoire est assez longue. La langue qui incarne le fil conducteur et reste pour moi une référence mentale, câest lâallemand. Première langue étrangère apprise, après ma langue maternelle, le tchèque, et le français à lâécole, mais jamais de manière méthodique. Lâallemand fut la première altérité linguistique à laquelle jâaie été confronté et dans laquelle jâaie été immergé. Peut-être que lâapprentissage des langues, à un moment ou à un autre, inconsciemment peut-être, me renverra à lâallemand ou à des situations que jâai vécues en lien avec lâallemand.
Je ne sais pas, de fait, quand et comment jâai appris cette langue : à lâécole, sans doute, mais jâignore pourquoi ; jâétais un peu en avance sur le programme et donc ne tenais pas ma connaissance de ce dernier ; durant les longues vacances en Suisse peut-être, bien que je nây aie interagi avec qui que ce soit dans cette langue ni même une autre dâailleurs ; en Allemagne plus tard, mais cela nâexplique pas tout.
à lâécole, jâai eu la chance de commencer tôt son apprentissage, au primaire. Je me souviendrai toujours du jour où la prof est venue, bouleversée, disant et répétant à des enfants qui nây comprenaient sans doute rien que le mur était tombé la nuit précédente. à lâépoque, un début précoce en langues nâétait pas tellement courant en France. Hélas. En allemand, je regardais à la fin des manuels de classe où les textes deviennent un peu plus longs, et prenais plaisir à les lire, chose pour laquelle je nâavais que peu dâappétence dans dâautres matières. Je devais donc avoir des notions de la langue à six ou sept ans. Avant tout, je crois avoir une certaine représentation mentale de la langue, un fonctionnement mieux en accord avec celui que lâallemand présuppose, dans son rapport à lâespace par exemple, ou encore sa syntaxe.
Lâallemand a également des facettes que je ne soupçonnais pas. Enfant et adolescent, je ne savais pas que, en fait, câétait une langue épurée, pour ne pas dire artificielle, que, en fin de compte, presque personne ne parlait. Dâoù la fameuse blague sur la manière dont on reconnaît les étrangers en Allemagne : ils sont les seuls à parfaitement bien parler la langue. De mes différents enseignants à lâuniversité allemande, je crois quâun seul faisait lâeffort de parler correctement, un distingué professeur, comte de son état ; il parlait lentement, ne sâembrouillait que rarement, et câétait un délice
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