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Je Suis à L'Est !

Je Suis à L'Est !

Titel: Je Suis à L'Est ! Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Josef Schovanec
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connaissais par cœur de la première à la dernière page, mais il y avait des passages entiers qui me venaient à l’esprit fréquemment. Pour moi, le Voyage au centre de la Terre était le voyage au centre des mots. Je m’interrogeais : pourquoi Jules Verne mettait un point à un moment donné, pourquoi un point-virgule à tel autre. Je pouvais passer des heures à tourner autour d’une phrase. Ai-je perdu mon temps ? Peut-être, d’autant plus que j’ai tout oublié de ces réflexions. Que celui qui a su mieux tirer profit de son âge enfantin me fasse part de sa manière de procéder. Rarement, et cela est fort heureux, les occupations de l’enfance ont une utilité au sens pour ainsi dire comptable. Même ce libertin, fort attaché aux charmes féminins, finit par regretter bruyamment de ne pas avoir suffisamment profité de son état de nourrisson. Les échecs et jeux forment l’être humain.

    De Verne à Kafka
    Dans ma vie, les deux seuls auteurs de fiction que j’aie plus ou moins réellement lus étaient Jules Verne et, plus tard, Kafka. Il y en eut d’autres, naturellement, mais je n’ai jamais consacré autant de temps à leur lecture, étant plutôt resté à un niveau d’échantillon par rapport à leur œuvre d’ensemble.
    Jules Verne avait pour moi un attrait décisif : à la fois auteur de romans et auteur scientifique, sa seconde qualité me permettant d’accepter la première, puisque durant des années je ne perçus pas l’utilité de lire ce qui n’était pas vrai, à savoir la fiction. Jules Verne permet de voyager, d’avoir des chiffres, des faits, qui sont dans la plupart des cas exacts, avec en prime un talent absolument remarquable pour décrire les paysages, les lieux où parfois il n’était jamais allé, lui qui n’a que très peu voyagé dans sa vie.
    Verne, en somme, a été l’auteur qui a accompagné mon enfance, dans l’apprentissage de la lecture au-delà des babillages, dans l’apprentissage du français, et dans celui des codes, certes un peu raides – siècle de l’auteur exige –, mais néanmoins pleinement sociaux.
    Ma rencontre avec Kafka date d’une douzaine d’années. À l’époque, c’était l’un des rares auteurs avec lesquels je me sentais en accord. En accord ne veut pas dire que je partageais telle ou telle opinion politique ou philosophique, au demeurant difficiles à trouver dans son œuvre. Mais le monde tel qu’il le décrit et tel qu’il le vit vibrait de la même manière que le mien. Kafka n’est pas un auteur dont on pourrait aimer un livre et ne pas aimer l’autre : malgré la grande hétérogénéité matérielle de son œuvre (papiers, manuscrits épars, etc.), tout se tient. Son allemand est très particulier, parfaitement clair, avec une grande perfection formelle.
    J’ai commencé par Le Château . À la première lecture, je ne l’ai pas bien compris et il me semble qu’avec le recul je n’aurais pas dû commencer par cet ouvrage. J’ai été émerveillé, ensuite, par ses essais et nouvelles, écrits de circonstance comme on dit, expression que je prendrais au sens littéral : des écrits pour les circonstances qui étaient les miennes. Ein Bericht für eine Akademie m’a particulièrement marqué. Je ne pourrais donner le titre exact en français si ce n’est une traduction littérale et sans doute peu appropriée : « Rapport pour une académie ». Le récit est celui d’un singe qui se retrouve devant une académie et commence son discours par (je traduis librement) : « Hauts sires de l’Académie ! Vous m’avez fait l’honneur de me demander un rapport sur ma vie de singe… » Un peu plus tard, Blumfeld, ein älterer Junggeselle (« Blumfeld, un célibataire sur le retour ») m’a passionné et je l’ai lu en boucle pendant des mois. Le récit se noue autour d’un phénomène : deux balles rebondissent dans la chambre de Blumfeld, le héros. Élément étonnant, mais qui, comme les autres choses bizarres dans l’univers de Kafka, ne suscite pas de surprise particulière.

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