Je Suis à L'Est !
dâattendre lâinstant où, à lâapproche du point final, les verbes accumulés allaient se loger, impeccablement conjugués, au bon endroit, un peu comme quand, à lâissue dâune longue série de formules, le matheux enclenche des mécanismes qui par miracle, soudain, donnent le résultat parfait. Un autre professeur, français cette fois, spécialiste du sacré, avait évoqué un phénomène intrigant, que jâavais déjà observé étant enfant : pourquoi la liturgie sacrée en allemand, câest-à -dire dans un allemand non seulement extrêmement formel mais légèrement archaïsant, avait un tel effet émotionnel, contrairement à la même liturgie en français ? Mystère. Peut-être que sans la complexité hors du commun de la syntaxe et de la grammaire sanskrites, cette langue non plus nâaurait pu devenir langue sacrée pour des millénaires. Je ne sais.
Lâautre facette de lâallemand que je nâallais découvrir que plus tard est son aspect historique. Réduire lâallemand à lâAllemagne, câest faire une erreur grossière. LâAllemagne en tant que pays constitué aujourdâhui nâa quâun rapport ténu avec la culture de langue allemande. Rarement jâai ressenti une telle émotion en lisant certains vieux textes dâune Europe centrale disparue, où lâallemand était ce qui donnait être à toute vie de lâesprit. La même que quand, un soir, jâarrivai après un long voyage à la Piata Trandafirilor, la place historique de Targu Mures, en Transylvanie, pour y découvrir, malgré les noires décennies dâune histoire terrible, les traces dâun passé perdu où magyar et allemand étaient des biens partagés.
Diversifications
Lâanglais est arrivé beaucoup plus tard. Je nâai commencé à suivre des cours quâen quatrième, une heure ou deux à peine par semaine. Au collège comme au lycée, je nâattachais guère dâimportance à cette langue.
Mon apprentissage effectif est venu dâun phénomène marginal : mes parents avaient acheté un premier ordinateur, dâune marque assez inhabituelle, et dont les manuels étaient en anglais. Je commençais à les lire, avec sans doute une compréhension assez difficile au début.
La particularité de lâanglais est que beaucoup de ses mots sont apparentés au français ou à lâallemand : même sans avoir suivi des cours sérieux, et si on connaît lâallemand et le français, on peut se faire une petite idée de ce que dit un texte, surtout quand il est technique.
Par la suite, jâai eu ma période grec ancien. Je ne suis pas allé très loin, mais jâai passé un ou deux étés à ne faire quasiment que cela. Hélas, je nâai jamais su mener cet effort à quelque chose de constructif. Un jour peut-être suivrai-je un cursus plus sérieux. Peut-être suis-je quelquâun de profondément pervers, au sens premier du terme, car ce nâest pas tellement le grec ancien qui mâattirerait aujourdâhui, mais plutôt le grec byzantin, cet entre-deux assez captivant.
Le grec me semblait nettement plus attirant que le latin, qui nâa jamais eu ma sympathie, sauf, beaucoup plus tardivement, celui de la fin du Moyen Ãge, qui a un côté plaisant, toujours en lien avec mes obsessions autour des livres comme La Nef des fous â peu importe que ces ouvrages du Moyen Ãge tardif ou de la Renaissance soient dans leur original en latin ou une autre langue, ils ont un cachet très particulier que jâassimile à un type de latin. Il est de ces différents textes assez extraordinaires où le latin est un peu bizarroïde, mêlé à toutes sortes de langues, toujours entre le plus grand sérieux et la pantalonnade, le recul des siècles ayant au demeurant souvent inversé les deux. Sinon, le latin a quelque chose dâantipathique pour moi : jâai lâimpression dâêtre confronté à une plaque de marbre froid. La flamme ne prend pas. Jâai essayé, pourtant. Alors que je trouve la grammaire grecque attachante dans la sonorité, les manières dâécrire, et même les lettres ; il y a quelque chose de beaucoup plus chaleureux, de
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