Je Suis à L'Est !
engrenage sâest mis en place. Jâai été fort bien accepté. Je ne mâattendais pas à cela. Les premiers cours, jâavais des lacunes évidentes, puisque mes camarades de classe â je peux enfin utiliser le terme au sens exact â avaient déjà des notions, sinon linguistiques, du moins culturelles. Mais, globalement, nous étions tous débutants, et cheminions ensemble vers de belles découvertes. Câétait très intensif, au moins une bonne quinzaine dâheures de cours par semaine, et au moins autant dâheures dâexercices à la maison. Beaucoup de moments de bonheur, et le soir, en sortant du dernier cours, la sensation que les petits neurones se réarrangeaient.
Quelques années plus tard, jâai commencé à essayer les matières optionnelles, généralement les plus intéressantes. à nouveau ce glissement vers la marge. Parmi les profs qui mâont marqué, Daniel Bodi, spécialiste du Moyen-Orient ancien, et ce bien que je ne sois pas dâaccord avec toutes ses thèses politiques et sanitaires, notamment quant au rôle du chocolat dans la prise de poids de fin dâannée. Avec lui, lâougaritique, le hittite et autre paléo-araméen ne sont jamais loin. Pour ne rien gâcher, il est également un fin lecteur dâouvrages de psychologie. Plus tard, jâai entendu diverses rumeurs de couloir, y compris dans des universités sur dâautres continents, sur sa bizarrerie ; jây vois un compliment plus quâautre chose. Ses cours ne servaient à rien dâévaluable, jây allais donc passionnément.
Donc, peu à peu, lâappétit venant en mangeant, je commençais à picorer, à manger ailleurs. Et à lâInalco, les tentations ne manquent pas. Ou plutôt, ne manquaient pas dans les anciens locaux, auxquels des décennies dâusage avaient donné un cachet assez particulier. Par exemple, en marchant dans les couloirs, on croise des étudiants parlant toutes sortes de langues. Quand on fouille les poubelles comme je le fais parfois sur le plan symbolique, il en est de même : à la photocopieuse, quelquâun avait laissé un jour les premières pages dâun cours dâintroduction au pachto, une langue parlée surtout en Afghanistan, un peu au Pakistan aussi. Plus tard, en allant à un cours sur les religions africaines dans un bâtiment où jâavais osé mâaventurer â et qui, réflexion faite, était peut-être celui dont lâambiance était la plus chouette â, dans le couloir, parmi les emplois du temps affichés, jâavais vu celui dâamharique, lâune des langues modernes dâÃthiopie. Je sus tout de suite que jâallais un jour lâessayer. Un an et demi plus tard, câétait chose faite.
Plus tard encore â peut-être était-ce pathologique â, jâai entamé le cursus dâazerbaïdjanais ainsi que celui de vieil éthiopien.
Je ne suis pas linguiste ; je nâai jamais fait dâétudes linguistiques. Si je suis intéressé par les langues, câest essentiellement pour pouvoir avoir accès à des documents anciens notamment du Moyen-Orient. Ce qui nâexclut pas certains petits écarts, ou certaines découvertes marginales comme le sanskrit classique. Je continue à lâétudier. Et jâai pu rencontrer des profs hors du commun. Des spécialistes de grammaire sanskrite classique. Ce sont des expériences à vivre ! Mais malheureusement, ce sont les cursus les plus intéressants qui rassemblent le moins dâétudiants. Autant la licence dâanglais est bondée, autant les cours plus atypiques sont vides. Ce qui a ses avantages. On a des cours quasiment particuliers. Donc, je suis toujours éternel étudiant.
En tout cas, lâInalco a eu des petits frères. Lâun prit la forme du cursus de sanskrit à lâuniversité Paris III, lâunique cursus constitué de France en la matière, que jâai commencé à suivre. Un autre fut le cours de vieil éthiopien, ou guèze, à lâUniversité catholique de Paris. Et la liste pourrait être poursuivie ; dâailleurs, je crois être mentalement incapable de me figurer, à un moment donné, la liste complète des cursus que je suis censé
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