Je Suis à L'Est !
séquence alphabétique. Je pouvais commencer par tel côté dâune étagère, puis emprunter dix livres dâun coup, les lire à la maison, avant dâemprunter les dix suivants. Ou bien je pouvais commencer par les plus gros de la rangée, avant de passer aux plus petits. Mes favoris étaient ceux que jâempruntais chaque année à la même période. Malheureusement ou heureusement, mes souvenirs ne sont plus très nets sur le déroulement séquentiel précis des opérations. La thématique primait toutefois : lorsque je mâintéressais aux insectes et aux papillons de nuit, si dans la rangée il y avait un bouquin qui ne parlait pas du sujet, je ne le lisais pas.
Retour au livre
Pourquoi aime-t-on le livre ? Ce nâest pas que pour le contenu. Les éditeurs au demeurant publient toute une gamme de livres qui nâont pas vocation à être lus. Je serais curieux par exemple de savoir combien des épais volumes de James Joyce vendus dans les aéroports irlandais sont véritablement lus. Il y a beaucoup dâautres facteurs qui, du moins pour moi, entrent en compte dans le jugement dâun ouvrage, tels que le papier, sa couleur, sa texture. Et surtout son odeur. Je ne peux pas lire sérieusement un livre sans sentir son odeur. On mâa expliqué quâil ne fallait pas le faire en public. Jâessaie donc de le faire en cachette. Jâoublie assez rapidement les titres et les auteurs, mais je retiens assez bien lâodeur, la texture du papier, la manière dont il est découpé, si la découpe est complètement droite ou sâil y a des petits reliefs, quelle est la couleur de la couverture, etc. Ces choses sont vraiment des marqueurs identifiants qui à mes yeux créent lâidentité du livre, beaucoup plus que le nom de lâauteur.
Au demeurant, jusquâà un âge relativement avancé, je pensais que les bouquins nâavaient pas dâauteur humain, quâils étaient des données de la nature, quâil y avait des livres comme il y a des pierres et des rivières. Je nâavais pas compris quâune personne, à un moment donné, avait écrit lâouvrage.
Le livre donne de lâénergie, remet les idées en place pour tenter des interactions sociales. Ce ne doit être assurément ni une finalité assignée au livre, ni une obsession permanente du lecteur, mais cela peut ajouter un attrait à la lecture. Supposons que vous aimiez manger des framboises, cela ne veut pas dire que vous nâayez aucune interaction sociale à côté. Dans le cas des personnes avec autisme, il en est de même : on peut aimer les bibliothèques et avoir quelques contacts avec des amis â du moins je lâespère. Et contrairement à ce que lâon croit, les lectures peuvent faciliter cette découverte de lâautre. Même et surtout en lisant en apparence tout et nâimporte quoi comme moi, la lecture élargit lâhorizon plus quâautre chose ; certes, suivre un coaching permettant dâaller dans une discothèque paraît infiniment plus efficace en termes de socialisation que de lire un livre poussiéreux dâun auteur oublié. Mais le second agit sur le plus long terme. Par exemple, vous ne commettrez pas dâimpair majeur sur la capitale de tel pays ou sur lâusage de « Monsieur » par rapport à « Excellence », ni ne direz par exemple « mon colonel » lorsque vous devez dire « colonel ».
Les personnages de Jules Verne sont quasiment tous un peu fêlés. Certes, au bon sens du terme, pour la plupart au moins. Et Jules Verne avait un univers très particulier, obsédé par la science, un univers duquel le monde féminin est quasi totalement absent, si ce nâest à lâultrapériphérie. Cela ne fait pas de ses livres un outil parfaitement adapté pour les interactions sociales, du moins à première vue. Pourtant, ils représentent un atout central. Plusieurs mâont marqué, je les ai lus et relus, en différentes langues ; je mâamusais de voir comment le traducteur avait plus ou moins contourné les obstacles, comment il avait essayé de restituer, dans un univers différent, des références culturelles évidentes dans sa langue dâorigine.
Je ne peux pas dire que je les
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