Je Suis à L'Est !
dans lesquelles lâautisme, quâon le veuille ou non, se situe. Il est manifeste, même si jusquâà présent je nâai jamais entendu qui que ce soit le dire ainsi, que lâautisme, lorsquâon le valorise très positivement comme câest le cas chez une partie des praticiens anglo-saxons, ne saurait être machiste et accorder dramatiquement ses faveurs aux hommes plutôt quâaux femmes. Les tenants dâune répartition paritaire de lâautisme avancent le concept de la non-détection des filles : les femmes avec autisme soit se fondraient plus facilement dans la masse, soit seraient négligées par les praticiens, soit leur autisme ne serait pas reconnu en tant que tel, avec ses particularités. Je suis bien entendu incapable dâapporter une réponse valable, faute dâéléments ; je ne peux que souligner lâimplication dans lâautisme de considérations sociales plus générales. Une preuve, soit dit en passant, de la non-séparation hermétique entre la « planète autiste » et la « planète Terre ». La discussion nâen ouvre pas moins des perspectives intéressantes : lâautisme doit-il être défini en tant que particularité médicale ou en tant que gêne sociale ? En dâautres termes, peut-on être autiste et nâavoir aucun signe distinctif, aucun trouble social, un peu comme la « folie sans signes apparents » de la psychiatrie de lâURSS ? Si lâautisme est avant tout cette petite flamme secrète que nul ne voit, comment peut-on être sûr quâelle ait été perçue par celui qui a fait le diagnostic ? Quitte à pousser lâargument à lâextrême, lâautisme serait-il une conviction intime, un peu comme le fait de se définir chrétien ? Une telle assertion ferait scandale en France ; elle est pourtant à peu près clairement formulée ainsi par certains aux Ãtats-Unis. Lâaugmentation des prévalences de lâautisme nây est sans doute pas étrangère.
Si, à lâinverse, on fait primer le critère social, à savoir les échecs de la personne dans la société, lâautisme deviendra une nouvelle dénomination pour les exclus du système. Le plus troublant est quâil en est ainsi pour tous les handicaps ou presque : pour des raisons mystérieuses, la prévalence des handicaps, même ceux qui ne sont pas dus au mode de vie et ceux qui sont objectivement quantifiables, est bien plus forte dans les classes sociales défavorisées que lâinverse. Nos catégories conceptuelles ne sont pas étanches et ne sauraient lâêtre.
Pour le dire autrement, et de manière quelque peu provocatrice, lâautisme, si on fait primer le critère social, devient corrélé au décalage entre les promesses sociales explicites et la réalité vécue. Si la société promet bonheur, longue vie, santé, bon salaire, et que je nâai rien de cela, et si lâautisme est défini par le trouble social, comment pourrais-je ne pas être au moins un peu autiste ?
Ces questions douloureuses ne reçoivent aucune réponse ici, à peine une ébauche. Câest fort regrettable. Mais que faire quand peu les ont abordées ? Il est autrement plus confortable de se barricader derrière lâidée dâune parfaite caractérisation médicale de lâautisme, plutôt que de sâaventurer dans les sables mouvants où lâautisme est reconnu comme miroir de la société, de ses enjeux et de ses problèmes.
Un lourd passé
Mais dâoù diantre tire-t-il des jugements aussi aberrants ? Telle est peut-être lâinterrogation qui en ce moment même vous préoccupe. Elle est légitime. Mais jâen ignore la réponse. Peut-être quâau sein du récit qui suit vous trouverez les éléments nécessaires à lâanalyse de ma psychose infantile, comme on dit parfois, non sans un brin dâironie.
Il y a longtemps déjà , alors que quelques comprimés de neuroleptiques traînaient encore dans mon cerveau, une association mâavait demandé de participer à des rencontres autour de lâautisme. La première fois, ce fut particulièrement terrorisant. Quand les autres parlaient, jâétais assis dans un
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