Je Suis à L'Est !
identités
Lâun des points où la différence est, je crois, la plus nette entre lâapproche scientifique et la mienne concerne les étiquettes au sein du spectre de lâautisme. Les médecins et chercheurs distinguent toutes sortes de sous-catégories. La terminologie est fort riche : autisme de Kanner, autisme classique, autisme déficitaire, autisme dit de haut niveau, syndrome dâAsperger. Sans oublier la catégorie la plus savoureuse, à savoir les troubles autistiques non spécifiés. Que faut-il entendre ? Est-ce un diagnostic des troubles du patient ou un aveu dâéchec savamment maquillé du médecin, lorsque le diagnostic se nie lui-même ? Quel dommage que Molière ne soit plus parmi nous ! Dâune certaine manière pourtant, il sâagit là du seul diagnostic valable, attendu que nous devrions être collectivement diagnostiqués « non spécifiés ».
Quoi quâil en soit, jâéprouve toujours un certain malaise face aux délimitations, aux sous-catégories trop rigoureuses. La plupart des personnes avec autisme rentrent à la fois dans deux, voire trois sous-catégories. Et les sous-catégories fluctuent suivant les modes académiques, voire même le tempérament personnel de chaque médecin. Les terminologies ne sont jamais neutres : si on dit par exemple « autiste de haut niveau », lâexpression « haut niveau » présuppose lâexistence dâun « bas niveau », en somme dâun plus bête que soi grâce auquel on se sent supérieur. Et lâexpression « haut niveau » est une traduction problématique de lâanglais high functioning , que lâon pourrait rendre par « qui se débrouille bien ». La traduire par « de haut niveau » reflète tout un univers culturel, largement tiré de lâétat dâesprit de la salle de classe, qui semble tant marquer ce qui se passe en France. Pourquoi lâautisme en tant que tel devrait suivre ces lignes de clivage culturel propres à leur théoricien ? En anglais, « bien fonctionnel » sâutilise pour toutes sortes de choses : par exemple des personnes avec trisomie 21 qui ont la chance de suivre des programmes efficaces dès leur enfance et peuvent ensuite être incluses dans la société ou même à lâuniversité, ce qui commence à se produire, sont désignées comme telles. Sans pour autant que leur spécificité soit nécessairement due à quelque arrangement génétique, ou quâil y ait une sorte bien déterminée de catégories au sein de la trisomie 21. Ainsi, de lâusage anglophone dâun terme dans le domaine de lâautisme, suivi par sa traduction en français, il ne faut pas déduire quâune catégorie médicale existe ipso facto .
Le signe qui ne trompe pas quant à lâaspect éminemment variable des classifications, ce sont les fluctuations de la classification officielle elle-même. Le DSM, ou manuel de diagnostic des troubles mentaux, qui émane des psychiatres américains, prévoit dans sa prochaine édition la mise à lâécart du syndrome dâAsperger. Les troubles du spectre autistique seront redécoupés autrement. Tout cela suscite naturellement des conflits, des luttes dâintérêts entre différents groupes. Aux Ãtats-Unis, des associations et des professionnels, maintenant, combattent pour que lâappellation « syndrome dâAsperger » soit maintenue. Des personnes connues avec syndrome dâAsperger protestent contre ce quâelles tiennent pour une relativisation de leur identité.
à titre personnel, les questions terminologiques mâévoquent toujours ce congrès dâastronomes de lâUnion astronomique internationale qui, en 2006, avait décidé que Pluton nâétait pas une planète. Jâignore quelle fut la réaction de lâastre concerné. Probablement cela nâa-t-il en rien affecté sa situation effective. Que lâassociation des psychiatres américains appelle tel syndrome dâune manière ou dâune autre, le fusionne avec tel ou tel autre, et le mette dans une rubrique appelée comme ceci ou comme cela, en toute rationalité, quâest-ce que cela change quant Ã
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