Je Suis à L'Est !
le mien. Il ne peut en être autrement, puisque je nâai jamais fait dâétudes ni sur lâautisme ni en psychologie ni dans un domaine apparenté.
Cela donne lieu à plusieurs anecdotes plus ou moins amusantes. Certains pensent que je connais parfaitement la littérature sur lâautisme, que jâai tout lu, et ils me posent des questions en conséquence, auxquelles je suis bien entendu incapable de répondre. Dâautres, peut-être les plus nombreux, le croient dur comme fer, avec un tel niveau de confiance quâils ne vérifient même pas leurs hypothèses de départ ; il arrive ensuite que des personnes, qui me connaissent et que je connais depuis des années, apprennent au détour dâune conversation que je nâai quasiment rien lu en matière dâautisme : passé le premier moment dâétonnement où ils croient soit avoir mal compris, soit avoir affaire à une plaisanterie, ils sont fort dépités ou courroucés.
Il y a un autre motif de mécontentement, de la part dâune catégorie assez spécifique dâacteurs de lâautisme, ceux que lâon pourrait nommer les professionnels passionnés par lâautisme : le fait de se rendre compte que je ne partage pas nécessairement leurs centres dâintérêt. Il est des gens, souvent mus dâexcellentes intentions, et parfois (mais il ne faut pas le leur dire) ayant quelques traits autistiques eux-mêmes, qui passent le plus clair de leur temps à bouquiner sur lâautisme, à passer des tests, etc. Pour eux, il est incompréhensible que lâon puisse ne pas se passionner pour lâautisme en tant que discipline académique. Un ami professeur, auteur de nombre de publications scientifiques sur lâautisme, me demande chaque fois que nous nous voyons si jâai passé tel ou tel test ; quand je dis que non, il est fort gêné. Le fait que je lui aie donné la même réponse lors de notre rencontre précédente est visiblement soit oublié, soit refoulé parmi les souvenirs absurdes, impossibles et improbables, donc à écarter.
Il est dâautres personnes, certes plus rares, qui ont compris lâaffaire, et veulent mâaider à ne plus être dilettante. Ils me proposent, souvent avec beaucoup de gentillesse, tel ou tel ouvrage à lire. Câest grâce à eux que jâai pu découvrir quelques rares ouvrages sur lâautisme. Et que je peux, en cas dâextrême nécessité, face à un public, donner deux ou trois noms pour paraître savant.
En fait, il me serait sans doute assez simple de devenir un peu plus savant, au moins en apparence : il faudrait que je passe mes grandes vacances avec une pile de bouquins sur lâautisme, me fasse quelques fiches sur les auteurs à la mode, retienne quelques phrases-clefs, celles que nul ne comprend en général et qui donc passent pour les plus frappantes, et ensuite que je fasse carrière, fort de cet éminent savoir.
Ce processus de devenir-sage pourrait sâagrémenter dâune dimension supplémentaire : comme chacun sait, lâautisme est traversé par de nombreuses luttes intestines, dont la guéguerre psychanalyse/anti-psychanalyse nâest pas la moindre. Héraclite disait dans ses Fragments â désolé si je déforme et simplifie sa pensée â que le conflit, père de toute chose, faisait de certains des rois, des esclaves ou des hommes libres : rien nâa changé depuis ces époques lointaines. Il faut donc, comme certains de mes amis â dâailleurs, à une ou deux exceptions près, des gens sans autisme â, sâimproviser général, sonner la charge, et espérer quâà défaut de victoire finale (qui est, convenons-en, une catastrophe pour les militaires, privés de raison dâêtre), on amènera à soi quelques brigades et que lâon sera promu officier. Parfois, faute dâennemi palpable, lâexpédition sâembourbe dans les marais ou se transforme en pantalonnade. Les plus habiles, illustres élèves de Potemkine, savent se créer des ennemis en carton, ou, comme disait Mao, des tigres en papier que lâon fait rugir en se plaçant derrière eux, et qui tiennent jusquâà la prochaine pluie. Ce sont mes spectacles préférés.
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