Je Suis à L'Est !
lâidentité personnelle ? Passe encore pour les questions administratives, pour savoir quelle case cocher sur un formulaire officiel ; mais là , je ne crois pas que les votes des psychiatres américains aient un impact sur les cases à cocher, ou plutôt sur lâabsence de case.
En somme, jâai toujours une grande méfiance envers les cases, les appellations en général, et jâai toujours du mal à mâidentifier â pour être provocateur â à un diagnostic unique. Je ne pense pas quâon puisse réduire un être humain à un diagnostic, quâil soit réel ou non. A-t-on le droit de dire par exemple « Monsieur Cancer » ? Les associations concernées se battent contre cet abus de langage. Nâallons pas, sous prétexte dâautisme, à contresens.
Combien dâautistes ? Et autres paradoxes
Lâautisme a ceci de particulier que non seulement ses classifications divergent, mais également les chiffres de sa prévalence. Et ce nâest pas quâune question de décimales. Depuis quelques décennies, toutes sortes de valeurs numériques ont été avancées, depuis les plus faibles, comme par exemple une personne sur dix mille, jusquâaux plus élevées. Un consensus, sans doute momentané, sâest établi autour dâ1 sur 150 ou 1 sur 166. Mais déjà des groupes, notamment anglo-saxons, poussent à augmenter la prévalence, jusquâà près dâ1 sur 80, voire au-delà . Chacun des scores émane dâune étude et chacun, pour ainsi dire, est utilisé par une chapelle donnée. Les querelles absurdes sont multiples entre les tenants, par exemple, du 150 et du 166.
Il y a, de toute évidence, une part de mystère derrière cette inflation des scores. Lâexplication la plus répandue fait appel à la thèse de la mauvaise prise en compte de lâautisme dans les statistiques anciennes, aboutissant à sa dramatique sous-évaluation. Toutefois, ces dernières années, plusieurs travaux ont exploré la piste dâune augmentation effective des prévalences de lâautisme, avançant chacun des pistes dâexplication, depuis lâinfluence des vaccins jusquâà dâautres sortes de pollutions. Pour le moment, en France, il nây a pas encore dâétude faisant autorité.
Jâai pu assister en spectateur à bien des discussions autour de ce sujet. Je ne le crois pas essentiel. Il reflète plus à mon sens les présupposés contenus dans les classifications et leurs critères que la réalité. Lâautisme, en tant que catégorie médicale ou sociale nécessairement construite, ne peut refléter quâimparfaitement le réel, car il nây a aucune raison de croire, sans démonstration solide dâun théorème aussi riche dâimplications, que le réel se plie à nos classifications mentales.
Il en est de même pour la question de lâorigine génétique, sociale ou autre de lâautisme. La génétique, la sociologie, comme les autres disciplines, nâexistent pas en elles-mêmes, mais sont issues dâun très lent réarrangement des facultés, des multiples rivalités entre chercheurs et enjeux politiques à la clef. Pourquoi vouloir que le réel suive ces lignes de clivage propres à nos universités, dans ce quâelles ont de plus irrationnel et fluctuant ? Cette remarque nâimplique pas un relativisme général ; plutôt une prudence dans lâusage de notre savoir et la reconnaissance de ses limites.
Autre querelle de chiffres, qui pour une fois semble moins virulente en France que dans les pays anglo-saxons : la proportion de garçons et de filles au sein du spectre de lâautisme. Les divergences entre les scores sont là encore assez extraordinaires, depuis quelque chose comme douze garçons pour une fille jusquâà la parité parfaite. Les ouvrages de témoignage, notamment en anglais, sont, bien que je nâaie pas de chiffres précis, à mon avis majoritairement féminins. Face à de tels écarts entre les données issues des laboratoires de recherche, on pourrait croire à la présence de charlots cachés en leur sein. Ou y voir, à nouveau, un exemple de lâimpact des considérations sociales plus générales
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