Je Suis à L'Est !
coin, tétanisé, convaincu que lâavancée de lâheure allait seule me sauver.
Cela se passait dans un restaurant à Paris, cadre difficile sâil en est. Quelques éléments de repère peuvent sâavérer utiles pour dresser un parallèle. Je parle peu dâun pan de ma vie, qui fut majeur à une époque, avant de retomber à presque zéro, au rang des souvenirs dâun monde disparu : ce fut mon passage dans les associations de QI. Pendant mon année en Allemagne, en 2000-2001, jâavais passé un test dâadmission à lâassociation internationale Mensa, qui regroupe des personnes ayant, ou croyant avoir, un score intellectuel dans les 2 % supérieurs, comme ils disent. Comprenez : les gens les plus intelligents, géniaux et modestes que la Terre ait jamais portés. Je nây suis resté quâune année, me contentant essentiellement dâactivités sur Internet. Ma seule activité non virtuelle a été ma présence silencieuse à une assemblée générale de Mensa France. Expérience particulièrement stressante, traumatisante, qui sera, lors de mes premiers contacts avec les associations de lâautisme quelques années plus tard, mon seul point de référence associatif.
Revenons au restaurant, lieu de plaisir pour beaucoup. Comment faire comprendre ce quâil représente pour une personne avec autisme ayant peu de compétences sociales ? Déjà , y entrer est tout un défi. Vous arrivez devant le bâtiment après, bien sûr, vous être perdu à maintes reprises dans les rues de votre ville natale. Alors vous vous dites : « Jây vais ou je nây vais pas ? » Le ballet des gens qui entrent et qui sortent, clients et employés, continue. à quelle seconde dois-je pousser les portes ? On mâa dit dâêtre là à dix heures â mais le « là  » désigne la place devant le restaurant ou la salle elle-même ? Puis-je venir cinq minutes avant ? Cinq minutes après ? Que me dira-t-on dans lâun ou lâautre cas, et que dois-je dire, moi ?
Quand enfin vous poussez la porte, vous devez trouver le groupe qui est venu pour lâévénement ; mission dâautant plus compliquée que la plupart des gens arrivent en retard. Vous cherchez donc vainement le groupe et cela ne fait quâaugmenter le stress, rendre tout comportement rationnel problématique.
Quand vous êtes en face du bon groupe, que dites-vous ? Tout le monde discute, vous ne connaissez personne. Doit-on rejoindre silencieusement les rangs ? Interrompre les gens ? Si oui, par quelle formule ? Leurs conciliabules sont-ils le bavardage formel de la réunion, ou est-ce que câest quelque chose de préliminaire ? Parfois il nây a pas de différence nette entre les deux. Inutile dâajouter que la première fois, câest très compliqué.
Mais peu à peu jâai appris certaines choses. Lors de ma deuxième ou troisième fois, jâavais interrogé, dit une petite phrase pendant la réunion. Ensuite, assez rapidement on mâavait demandé de faire une présentation sur lâautisme. Je ne suis pas du tout un nageur habitué des piscines, mais je crois que câest un peu comme quand on est poussé dans lâeau.
Ma première intervention avait été filmée et mise sur Internet â pas par moi, et sans mon autorisation, naturellement â, et elle y était restée pendant un certain temps. Jâétais un peu forcé de découvrir lâautisme en en parlant. En rencontrant les grands auteurs de ce petit monde qui intervenaient pendant la même journée.
Les choses ne tardent pas à se compliquer, parce que beaucoup dâenjeux sâentremêlent. à la fin de la conférence, il y a toujours des gens qui viennent vous voir. Quâest-ce que vous leur dites ? Comment réagissez-vous à leurs compliments ? Il y a plusieurs aspects dans une présentation, un exposé sur lâautisme. Il y a le moment où on baratine : à mon avis câest lâun des moins difficiles, parce que quand on se fait une idée à peu près précise de ce quâon va raconter, que cela soit sur la culture des patates au Turkménistan oriental ou sur lâautisme, finalement on peut
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