Je Suis à L'Est !
pourrait se situer à 150, peut-être 200 personnes. Au-delà , on entre dans un système de meeting de masse, voire de star-system. Là , il nây a plus de questions fonctionnelles, et en fin de compte jâai lâimpression quâon nâest plus évalué sur le contenu de ce quâon raconte, mais plutôt sur les bons mots que lâon fait. Il y a certaines blagues qui ne font rire personne lorsquâon est en petit comité, par exemple les blagues sur les hommes politiques de très bas niveau. Mais devant un amphithéâtre plein, ce sont précisément les moments où tout le monde réagit. Quand un homme politique fait un discours, lorsquâil dit des phrases dénuées de contenu, comme par exemple « Vive la France ! », câest là où les gens applaudissent le plus. Pendant longtemps, jâai été sceptique vis-à -vis des thèses de Gustave Le Bon, le tenant pour un ancêtre des sciences sociales, aujourdâhui dépassé. Actuellement, je me dis que, sâil a sans doute fait erreur sur plusieurs points, il a eu le mérite dâattirer lâattention sur des phénomènes bien observables 1 . Quant à moi, quand je sors dâun tel meeting, je me pose des questions. Jâai lâimpression de ne pas avoir réussi à établir un lien humain.
Pourquoi continuer les conférences ?
Voilà toute la question : pourquoi, après tout, je fais des conférences ? Je suis assez gêné parce que je nâai pas de réponse convaincante ou unique. Loin des grandes envolées lyriques sur la nécessité de contribuer à la noble cause de lâautisme, je crois que la réponse pourrait être à rechercher au niveau microscopique, parmi les mécanismes concrets déclenchés par une sollicitation.
Typiquement, si je reçois un email où Untel me dit quâà telle ou telle date il y a une possibilité de conférence, si je ne peux vraiment pas venir parce que jâai déjà une autre obligation à ce moment-là , je refuse. Mais quand, en regardant dans mon agenda, par miracle il nây a rien ce jour-là , je me sens tenu de dire oui. Ou du moins je nâai jamais répondu « non » par commodité, pour autant que je sache. Je nâai jamais essayé de le faire. Ce qui donc paraît comme un grand choix de vie, à savoir le fait de faire des baratins sur lâautisme, est plutôt une succession de petits moments et de comportements appris. Ce nâest assurément pas un choix optimal, tant à certaines périodes de lâannée la fatigue est grande. Cela étant, pour le moment, je continue.
Il est difficile de savoir à lâavance si une conférence sera un bon moment ou pas. Cela dépend de facteurs qui sont, a priori , imprévisibles. En règle générale, plus il y a de monde et plus câest difficile et frustrant, en fin de compte, plus cette forme étrange dâabattement que je ressens ensuite est forte. Quand le groupe est petit, il faut se plier aux attentes. Quand on parle, par exemple, à des professionnels de lâÃducation nationale, une certaine thématique sera dominante. Les parents, eux, ont souvent des questions très concrètes â et souvent dâailleurs plus de réponses que je nâen ai moi. Un public composé de militants est souvent assez difficile : les questions dâego ne sont jamais très loin, et chaque regard évalue, trie et classe. Les opinions politiques sont à fleur de peau. Ãtablir des liens amicaux ou chaleureux est paradoxalement plus compliqué ; on peut nouer des liens de combat, mais pour cela il faut se livrer à des rituels dâalliance. Et partager la volonté de se battre contre un ennemi désigné.
Il nâen demeure pas moins quâune interrogation majeure reste sans réponse : pourquoi des gens acceptent-ils de mâécouter pendant des heures ? Cela doit être fort désagréable dâêtre assis pendant tout ce temps à écouter quelquâun qui parle dâune voix monocorde, avec un débit lent, qui raconte des petites histoires et délires personnels. Il y a là pour moi une part de mystère.
Quand les journalistes sâen mêlent
Ce nâest pas tout. à force de militantisme, chose imprévue au tout
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