Je suis né un jour bleu
constamment effrayé d’être touché par l’une des balles qui
sont fréquemment lancées dans les airs, et c’est l’une des raisons pour
laquelle je préfère rester debout dans un coin de la cour, assez loin de mes
camarades de classe. Je n’y manque jamais, je le fais à chaque récréation au
point que c’est vite devenu une plaisanterie récurrente et qu’il est de
notoriété publique que Daniel parle aux arbres et qu’il est bizarre.
De fait, je n’ai jamais parlé aux arbres.
Ce n’est pas pertinent de parler à des choses qui ne peuvent pas vous répondre.
Je parle à mes chats, mais c’est parce qu’ils peuvent au moins me répondre avec
un miaulement. J’aimais passer du temps avec les arbres de la cour parce que je
pouvais marcher, absorbé dans mes pensées, sans craindre d’être poussé ou
renversé. Ainsi, j’avais le sentiment de disparaître de courts instants
derrière chacun des arbres. Non que ça fasse passer
le temps plus vite. Simplement, c’était comme si je ne pouvais trouver ma place
nulle part, comme si j’étais né dans un autre monde. Le sentiment de ne jamais
être tout à fait à l’aise ou en sécurité, d’être toujours d’une certaine
manière à part ou exclu, me pesait beaucoup.
Progressivement, je devins plus conscient
de ma solitude et j’eus très envie d’avoir un ami. Tous mes camarades de classe
en avaient au moins un – et pour la plupart, plusieurs. Je passais des
heures éveillé, la nuit, à regarder le plafond et à imaginer ce que ce serait d’avoir
un ami. J’étais sûr que d’une manière ou d’une autre, cela me rendrait moins
différent. Peut-être alors, pensais-je, les autres enfants ne trouveraient pas
que je suis si bizarre. Que mon petit frère et ma petite sœur aient des amis, avec
qui ils jouaient après l’école, ne m’aidait pas. Je ne pouvais pas comprendre
pourquoi ces enfants ne parlaient pas entre eux de choses vraiment
intéressantes comme les pièces de monnaie, les marrons, les nombres ou les
coccinelles.
Parfois, d’autres enfants de la classe
tentaient de me parler. Je dis « tentaient » parce qu’il était
difficile pour moi d’interagir avec eux. L’une des raisons, c’est que je ne
savais ni quoi faire ni quoi dire. Presque toujours, je regardais le sol quand
je parlais et non mon interlocuteur. Quand je relevais la tête, je tombais sur
une bouche qui bougeait en parlant. Parfois, un instituteur me demandait de le
regarder dans les yeux. Je relevais la tête, mais cela me demandait beaucoup de
volonté et je me sentais mal à l’aise et différent. Quand je parlais à quelqu’un,
c’était souvent d’une seule traite, sans m’arrêter. L’idée de faire une pause
ou de parler à tour de rôle ne me venait pas.
Je n’étais jamais volontairement impoli. Je
ne comprenais pas que le but de la conversation n’est pas de parler uniquement
des choses qui vous intéressent. Je parlais avec force détails jusqu’à être
vidé de tout ce que j’avais à dire. Je sentais que j’aurais pu éclater si
quelqu’un m’avait interrompu. Il ne m’apparut jamais que le sujet dont je
parlais puisse ne pas être intéressant pour mon interlocuteur. Je n’ai jamais
non plus remarqué s’il commençait à s’impatienter ou à jeter des regards autour
de lui. Je continuais à parler jusqu’à ce que l’on me dise quelque chose du
genre : « Il faut que j’y aille, maintenant. »
Écouter les autres n’est pas facile pour
moi. Quand quelqu’un me parle, j’ai souvent le sentiment d’être en train de
chercher une station de radio, et une grande partie du discours entre et sort
de ma tête comme des parasites. Avec le temps, j’ai appris à en saisir assez
pour comprendre de quoi on me parle, mais c’est parfois problématique quand on
me pose une question et que je ne l’écoute pas. Celui qui la pose peut parfois
s’ennuyer avec moi, ce qui me met mal à l’aise.
Mes conversations en classe ou dans la
cour de récréation étaient souvent vaines car j’avais du mal à rester « dans
le sujet ». Mon esprit vagabondait souvent. En partie parce que je me
souvenais tellement bien de tout ce que je voyais et de tout ce que je lisais
que, s’il y avait une occasion d’en parler, un mot chanceux pouvait suffire à
déclencher un flot d’associations d’idées dans mon esprit, comme la chute des
dominos. Aujourd’hui, quand j’entends le prénom Ian, l’image mentale
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