Je suis né un jour bleu
de
quelqu’un que j’ai connu portant ce nom me vient spontanément, sans que j’aie
du tout besoin de faire l’effort d’y penser. Puis l’image change et c’est la Mini
qu’il conduisait. Puis des scènes du film Braquage à l’italienne. La
suite de mes pensées n’est pas toujours logique, mais procède souvent d’associations
visuelles. À l’école, ces détours et ces associations ont parfois donné l’impression
que j’arrêtais d’écouter, et les instituteurs m’ont souvent grondé parce que je
n’écoutais pas ou que je ne me concentrais pas assez.
Parfois, j’étais capable d’entendre
chaque mot et de saisir chaque détail, et pourtant, je ne répondais pas de
manière appropriée. Quelqu’un pouvait me dire : « J’étais en train d’écrire
un texte sur mon ordinateur quand j’ai accidentellement appuyé sur le mauvais
bouton et tout effacé », et j’entendais qu’il avait appuyé sur un bouton
qu’il ne fallait pas ; qu’il était en train d’écrire une rédaction quand c’est
arrivé, mais je ne mettais pas en relation les deux choses et je ne saisissais
pas la vue d’ensemble – que le texte était à refaire. C’est comme de
joindre des points dans un cahier de jeux pour enfants, de voir ce que forment
tous les points seulement quand on les a reliés. Je trouve presque impossible
de « lire entre les lignes ».
Il m’est aussi difficile de savoir quand
il faut répondre à des assertions qui ne sont pas exactement formulées comme
des questions. J’ai tendance à n’accepter que l’information pure, ce qui
signifie que j’ai dû mal à utiliser le langage dans un contexte social, comme
la plupart des gens. Si une personne me dit : « C’est une mauvaise
journée », j’ai appris que l’interlocuteur attendait que je lui dise quelque
chose comme « Ah, vraiment ? » avant de demander pourquoi c’est
une mauvaise journée. J’ai ainsi eu des problèmes en classe quand un professeur
pensait que je ne répondais pas, alors qu’en fait je n’avais pas compris qu’on
voulait que je donne une réponse. Par exemple, il dit : « Sept fois
neuf » en me regardant et bien sûr je sais que la réponse est
soixante-trois, mais je ne comprends pas qu’il faut la donner à haute voix. C’est
seulement quand le professeur repose sa question de manière explicite : « Combien
font sept fois neuf ? » que je vais répondre. Savoir si quelqu’un attend
de moi que je réponde à une assertion n’est pas intuitif, et ma capacité à
faire certaines choses, comme parler de la pluie ou du beau temps ne m’est venu
qu’après beaucoup d’entraînement.
M’entraîner à de telles choses était
important pour moi, parce que plus que tout, je voulais être normal et avoir
des amis, comme tous les enfants. Quand je maîtrisais une nouvelle compétence, comme
regarder l’autre dans les yeux, je me sentais très optimiste parce que j’avais
dû travailler dur et que le sentiment d’accomplissement personnel était incroyablement
bouleversant.
J’ai dû m’habituer au sentiment de
solitude qui rôdait autour de moi dans la cour de récréation. À part marcher
parmi les arbres, je passais mon temps à compter les pierres et les chiffres de
la marelle. Souvent, je me drapais totalement dans mes pensées, occultant ce
que les autres pouvaient voir ou penser. Quand quelque chose me plaisait énormément
je joignais mes mains en coupe devant mon visage, tout en pressant mes doigts
sur mes lèvres. Parfois mes mains frappaient l’une contre l’autre et claquaient
comme un applaudissement. Quand je faisais cela à la maison, ma mère s’énervait
et me disait d’arrêter. Mais ce n’était pas volontaire – cela arrivait, c’est
tout – et souvent, je ne m’en rendais pas compte jusqu’à ce que quelqu’un
me le fasse remarquer.
Même chose quand je parlais tout seul. Souvent,
je n’avais pas conscience de ce que j’étais en train de faire. Je trouvais
parfois très dur de penser sans parler à voix haute. À chaque fois que je m’absorbe
dans mes pensées, c’est extrêmement intense et cela affecte tout mon corps. Je
le sens qui se tend. Jusqu’à aujourd’hui, je n’arrive pas à m’empêcher d’agiter
mes mains dans tous les sens et de tirer inconsciemment sur mes lèvres quand je
suis plongé dans mes pensées. Parler tout seul m’aide à me calmer ou à me
concentrer sur quelque chose.
Certains des enfants de la cour
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