Je suis né un jour bleu
sol de ma chambre, analysant les positions et essayant d’améliorer mon
jeu. J’avais lu que c’était ainsi qu’il fallait faire et cela m’aidait à ne pas
répéter mes erreurs et à me familiariser avec les différentes combinaisons
possibles au cours d’une partie.
Le plus dur pour moi était de maintenir
un niveau élevé de concentration quand la partie durait, souvent deux voire
trois heures. J’essayais de réfléchir profondément, en brefs éclats de pensées
intenses, suivis par des périodes plus longues où ma concentration se relâchait
et se faisait moins consistante. Je trouvais difficile de passer outre les
petites choses autour de moi qui affectaient ma concentration : quelqu’un
qui soupirait bruyamment, par exemple. C’est ainsi qu’au cours de certaines
parties où j’avais l’avantage, je me suis déconcentré brutalement, j’ai joué un
coup plus faible ou une série de coups plus faibles, et j’ai fini par perdre
– ce qui m’a toujours beaucoup frustré.
Chaque mois, je lisais un magazine
spécialisé à la bibliothèque municipale. Un jour, j’y découvris une publicité
pour un tournoi qui allait se dérouler près de chez nous. Il était marqué :
« Droit d’entrée : payé d’avance 5 £ off. La journée : 20 £. »
J’avais tendance à lire les choses de manière littérale. Je n’étais pas sûr du
sens de « off », mais je pensais que le prix de l’entrée était de 5 £
si on payait d’avance, que c’était cela l’» offre ». Je demandais à
mes parents si je pouvais participer et ils acceptèrent d’envoyer un mandat
postal de 5 £ pour moi. Deux semaines plus tard, j’arrivais sur les lieux de la
compétition et donnais mon nom. L’homme regarda dans ses notes puis me dit que
j’avais certainement dû mal comprendre parce que je devais encore 15 £ (en
effet, comme je payais le jour même, je devais payer plein tarif). Je n’avais
pas compris que l’offre consistait en une réduction de 5 £ si l’on payait la
totalité du droit d’entrée d’avance. Heureusement, j’avais de l’argent sur moi
et je payai, quoique profondément troublé.
Les tournois étaient chronométrés et je
commençai ma première partie en confiance et en jouant rapidement. Bientôt, j’occupai
une position très avantageuse sur l’échiquier et bénéficiai d’un avantage de
temps tout aussi conséquent. Je me sentais très bien. Mon adversaire joua son
coup, appuya sur le bouton du chronomètre et soudain se leva. Je le regardai
faire les cent pas en attendant que je joue. Je ne m’étais pas du tout préparé
à ce qu’il fasse cela : je n’étais plus concentré du tout, ses chaussures
couinaient sur le sol dur et brillant. Totalement distrait, je jouai une série
de coups médiocres et perdis la partie. J’étais terriblement désappointé, mais
aussi incapable de jouer mes autres parties parce que ma concentration s’était
irrémédiablement envolée. Je rentrai à la maison, désormais persuadé que les
tournois n’étaient pas pour moi.
Néanmoins, je continuai à jouer
régulièrement tout seul, sur mon échiquier, assis sur le sol de ma chambre. Ma
famille savait qu’il n’était pas question de me déranger quand j’étais au
milieu d’une partie. Quand je jouais tout seul, les échecs étaient fluides, avec
leurs règles établies et consistantes, leurs modèles répétitifs de coups et de
combinaisons. À 16 ans, je créai un problème en dix-huit coups que j’envoyai au
magazine spécialisé que je lisais avidement à la bibliothèque municipale. À ma
surprise, il fut publié quelques mois plus tard, en tête du courrier des lecteurs.
Mes parents étaient si fiers qu’ils firent encadrer la page et l’accrochèrent
sur le mur de ma chambre.
Plus tôt cette année-là, en 1992, j’avais
obtenu mon brevet [12] avec la meilleure note possible (A*) en histoire, des A en langue
anglaise et en littérature, en français, en allemand, des B en sciences et un C
en menuiserie. À mon examen préliminaire de maths, j’avais eu A, mais je n’eus
qu’un B à l’examen final car j’étais assez moyen en algèbre. Je trouvai très
désagréable de manier des équations qui substituaient aux nombres – auxquels
correspondaient pour moi des réponses synesthésiques et émotionnelles – des
inconnues alphabétiques qui ne m’évoquaient rien. À cause de cela, je décidai
de ne pas poursuivre les maths plus loin et
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