Jean sans peur
conduit aux cimes éblouissantes où pas un pied de roi ne s’est encore posé. Jean de Bourgogne, parlez maintenant !
Stupéfait, hagard, fou de terreur, de rage, de passion, le duc de Bourgogne écoutait comme en rêve la musique monotone, effroyable et douce de cette voix qui parlait presque sans accent – sûrement sans menace. Pas de colère, pas de froideur affectée chez Isabeau.
À grand effort, le duc recouvra un peu de sang-froid et murmura :
– Ma décision est prise, je vais vous la dire…
Il mentait, et se mentait à lui-même. Il était incapable, en ce moment, de décider quoi que ce fût. Pourtant, au fond de lui-même, il se sentait un terrain de révolte. L’idée de braver Isabeau passa en éclair dans son esprit et s’évanouit :
– Odette de Champdivers !… commença-t-il d’une voix faible.
Et il se tut. Immobile, Isabeau attendait.
Il eut un accent de fureur. Il comprit qu’il allait briser la chaîne, qu’il se libérait d’Isabeau, et qu’il allait crier : Cette jeune fille que vous condamnez, je la sauverai, moi !…
Dans l’instant qui suivit, il s’abattit aux pieds de la reine, et râla :
– Qu’elle meure donc, puisque vous la condamnez !…
La beauté d’Isabeau triomphait. Le bouleversement, d’ailleurs, ne fut qu’apparent. En réalité, terreur, haine, fureur, révolte, ne furent chez Jean sans Peur que de stériles agitations d’âme, alors que dès l’instant où il était entré dans cette salle, il n’y avait eu pour lui de vivant au monde que la beauté d’Isabeau, et sa passion.
La reine regarda le puissant duc prosterné à ses pieds.
Elle ne triompha pas, elle ! Ce fut presque un sourire de tristesse et d’amertume qui vint crisper ses lèvres. Elle se pencha lentement, tendit ses deux mains au duc et le releva. Un instant, ils furent face à face. Isabeau vit Jean de Bourgogne flamboyant de décisions mortelles. Elle eut la sensation qu’en cette minute, il eût pour elle bouleversé le monde, déraciné son trône, noyé une ville dans le sang ; et alors, sur elle aussi, s’abattit le coup de passion. Elle l’aima violent et brutal et sanguinaire – sanglant dans son imagination. Elle le vit plus fort et, par conséquent, plus beau que tout et tous. Elle haleta. Vaguement, elle ouvrit les bras – et aussitôt elle se déroba : une autre image se dressait devant elle, et c’était Passavant… Jean sans Peur, étonné, tremblant, regardait plus loin qu’Isabeau, et se balbutiait, éperdu : « Quoi ! J’ai condamné Odette ! Quoi ! Elle va mourir !…
Ils s’écartèrent l’un de l’autre. Une minute leur suffit pour reprendre non leur sang-froid mais cette attitude de combattants alliés par quoi ils se retrouvaient en contact. Leur résolution à tous deux était prise.
– Vous avez dit : qu’elle meure ! Prenez garde, ceci est l’engagement même que je vous demande.
Isabeau, abattue par ses multiples efforts de volonté, parlait maintenant d’un accent nerveux, irrité.
– Je l’ai dit, répondit Jean sans Peur. Je le répète. Que cette fille meure… peu importe. C’est vous que j’aime. Depuis des ans, vainement je cherche à me tromper et à vous échapper. Je sais que je vous aime, et je l’ai toujours su. Je ne sais où je vais… Je vais là où vous m’entraînez, voilà tout. Votre rêve, c’est mon rêve. Ma puissance royale sera forte de votre puissance. Mon orgueil sera fait de votre amour. Ma gloire, c’est votre beauté. Qu’importe le reste ? Que cette fille m’ait attendri, que j’aie même cru l’aimer un jour, en quoi cela peut-il modifier ma destinée qui est la vôtre ? Qu’elle vive, si vous voulez. Qu’elle meure, si cela vous plaît. Moi je ne m’intéresse dans ce monde qu’à la vie d’Isabeau de Bavière, parce qu’elle est ma vie.
Longtemps, sans doute, il eût pu continuer sur ce thème, car le mensonge est fécond et verbeux. La sincérité trouve rarement un discours à son service.
– C’est bien, haleta Isabeau, n’en dites pas plus. Allez duc. Hâtez vos derniers préparatifs. Si vous êtes à moi, je suis à vous. Nulle puissance, donc, ne peut empêcher la définitive union à laquelle nous poussent nos destins. Allez… Et songez que la conquête du trône, c’est la conquête d’Isabeau.
Quelques instants plus tard, ils s’étaient séparés.
Jean sans Peur songeait : « Il faut qu’Odette me suive à l’hôtel de
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