Jean sans peur
tableau, non qu’il fût d’humeur poète ou artiste, mais cette sérénité au milieu du drame fait de tant de drames lui donnait une haute idée du courage et de la force d’Isabeau. Et ce courage même, ce ne fut pas en connaisseur désintéressé qu’il l’admira, mais il se dit que si la reine était si calme à l’heure où sa liberté, sa vie même peut-être étaient en péril, c’est qu’elle avait de secrètes assurances de triomphe.
L’attitude d’Isabeau de Bavière était en effet digne d’admiration.
Mais bientôt ce fut pour elle-même que le duc de Bourgogne l’admira. Il retombait sous le charme étrange et puissant que dégageait la beauté de cette femme, semblable à quelques célèbres courtisanes privilégiées de la nature, à demi-déesses, gardèrent jusqu’à la fin les apparences de la jeunesse.
Parmi ces splendides costumes qui l’entouraient comme pour la mettre en valeur, Isabeau était simplement vêtue d’une sorte de longue tunique de lin blanc, très léger, très souple : toujours parée de bijoux, étincelante de pierreries comme une fée tentatrice, elle ne montrait ce jour-là que la blancheur rosée de ses bras et de sa gorge.
Il était impossible de la voir sans l’aimer. Elle provoquait l’hallucination. Elle apparaissait lointaine et supérieure, digne d’être adorée en secret, ce qui est la seule forme de l’adoration, car un geste ou un mot brisent le charme, et l’adoration devient alors simplement du désir. Or, tous ces jeunes hommes élégants et beaux qui l’entouraient l’adoraient véritablement et on pouvait s’étonner de ne pas les voir prosternés aux pieds de l’idole.
Voilà ce qui apparut à Jean sans Peur en ce jour où s’agitait le mystère de sa destinée de puissance. Odette de Champdivers et sa grâce naïve et son innocence immaculée disparurent aux horizons de ses sentiments. Il regarda ces femmes dont quelques-unes étaient célèbres par leur beauté, dont plusieurs l’aimaient ouvertement, et il se dit qu’elles étaient de simples fantômes. Il regarda ces gentilshommes dans les yeux desquels il put lire l’adoration, et il fut jaloux, et sa passion s’exalta.
En lui, le conquérant s’abolit ; le rude féodal qui se ruait à l’assaut du trône s’effaça ; il ne fut plus qu’une pauvre épave d’humanité que ballottait le flot de l’amour…
Pendant quelques minutes, il s’intéressa à la partie de cartes, se mêla aux entretiens, alla de groupe en groupe. Une dame qui tenait la partie adverse de la reine lui dit :
– Soyez avec moi, seigneur duc…
Et il vida son escarcelle devant la dame, sans compter, ivre, les tempes battant le rappel des passions qui affolent. Mais alors, la reine, gravement, lui dit :
– C’est avec moi que vous devez être, mon beau cousin…
Et comme son escarcelle était vide, brusquement, à deux mains, il brisa la splendide chaîne qu’il portait au cou, chaîne d’une fabuleuse richesse, toute étoilée de diamants, et la déposa dans le jeu de la reine. Il y eut un murmure. Isabeau sourit, prit la chaîne, rattacha les mailles brisées, et la mit à son cou. C’était d’une telle audace que Jean sans Peur vacilla, que les seigneurs et les dames du jeu de la reine pâlirent de terreur…
Elle se leva soudain.
À l’instant, tous furent debout, rangés en demi-cercle autour d’elle et courbés.
– Majesté, dit le duc de Bourgogne d’une voix rauque, je suis aux regrets de troubler cette réunion et le plaisir de la reine ; je venais solliciter une audience particulière, car il se passe des événements qui intéressent la sûreté de notre sire le roi…
Un regard d’Isabeau suffit à faire comprendre à ses courtisans qu’elle voulait être seule. En quelques instants, la salle de Théseus fut déserte ; mais la douce et lointaine musique continua de se faire entendre en sourdine.
– Je vous écoute, dit la reine.
Le duc fit un effort. Il passa ses mains sur son front brûlant comme pour tenter de chasser les pensées de passion qui l’obsédaient. Et rapidement, d’une voix hachée, il développa le plan :
– Reine, le jour approche. Dans tous les quartiers de Paris, des compagnies de bourgeois en armes sont prêts à tenir la rue au cri de : Vive Bourgogne ! Nous avons douze mille hommes d’armes. Nous avons douze cents seigneurs et leurs suites. Une nuit suffira à l’anéantissement de vos ennemis et des miens.
– Je
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