Jean sans peur
ont su quelque chose. Que Dieu ait pitié de leurs âmes ! J’ai appris cela en écoutant le sire d’Ocquetonville. Est-ce vrai, mon gentilhomme ?
– C’est vrai ! dit sourdement le chevalier. C’est vous qui m’avez appris le coup.
– Il vous a servi, dit le geôlier d’un ton d’indifférence. Il pourra vous servir encore. Est-ce qu’on sait ?
De nouveau, un profond tressaillement agita le chevalier.
– Donc, poursuivit le geôlier, non seulement cela me fera plaisir de tâter encore votre fer, mais encore je m’en trouverai honoré. Tant que vous n’étiez que mon prisonnier, vous comprenez, vous n’aviez pas encore porté l’épée. Vous ne vous étiez pas mesuré avec des gentilshommes, des gens si au-dessus du pauvre hère que je suis. Mais maintenant, diable… vous allez m’anoblir !
Cette fois, ce fut une sorte d’ironie terrible que le chevalier crut distinguer dans la voix du geôlier.
– Eh bien ! dit-il, puisque la chose vous fait plaisir et vous honore, quand commençons-nous ?
Le geôlier se mit à réfléchir et dit lentement :
– J’apporterai deux épées, comme autrefois – deux épées démouchetées, cela va sans dire ! Avec votre adresse et la mienne, nous ne risquons pas de nous blesser sérieusement.
– Non, dit Passavant qui frissonna, nous ne le risquons pas.
– Je descendrai donc deux bonnes lames, solides, bien trempées. J’ai horreur de ces lames qui se ploient ou se brisent au premier coup.
– Quand ? haleta Passavant.
– Dès que ce sera possible ! dit le geôlier.
Et il se retira, tranquille et indifférent comme à son ordinaire, laissant son prisonnier dans un état d’agitation indicible. Le chevalier s’était accoté dans ce coin où Isabeau, plus tard, dans la soirée, devait le voir. Parfois, il frissonnait. Et parfois il murmurait :
– Pauvre diable !… Aurai-je bien ce courage ?… Il le faut ! Pour Odette… et pour Roselys !
Or le chevalier de Passavant en était ainsi à se débattre contre les sentiments divers qui l’assaillaient, et le geôlier était parti depuis plus de trois heures, lorsque la porte du cachot se rouvrit pour cette deuxième visite dont nous parlions.
Cette fois, le geôlier demeura dans le couloir.
À sa place, entrèrent quatre hommes portant des torches qui éclairèrent vivement l’intérieur. Puis, huit gardes bien armés vinrent se ranger aux murs, tandis que douze autres prenaient position dans le couloir. Enfin deux valets apportèrent une petite table noire et quatre escabeaux.
Lorsque tous ces préparatifs furent achevés, Passavant vit entrer Scas et Ocquetonville, puis trois ou quatre autres personnages de la maison de Bourgogne.
Tous ces gens étaient silencieux.
Un petit homme vêtu de noir et tout fluet entra en saluant et, s’asseyant au bout de la table, apprêta un écritoire, des plumes, et installa devant lui divers parchemins : c’était le greffier.
Enfin, trois hommes également vêtus de noir, graves et solennels, firent leur entrée dans le cachot et tout de suite prirent place à la table, sur les escabeaux qui avaient été préparés.
C’étaient les juges.
L’un d’eux, en bredouillant très vite, lut un papier qui établissait que, par l’énormité du crime, l’importance du personnage victime de ce crime, il était à craindre que le prisonnier ne pût être transporté au siège de l’Officialité ; que la légitime colère du peuple de Paris soustrairait sans aucun doute le scélérat au châtiment qui l’attendait, par une mort assurément méritée mais trop douce ; qu’en conséquence le procès se ferait dans le plus grand secret.
Le même papier concluait en ordonnant que le cachot du meurtrier fût pour la circonstance érigé en grand-chambre de justice. Passavant fit justement observer que les conseillers de la grand-chambre ne pourraient jamais entrer tous dans le cachot. Mais le juge, non moins justement, lui répondit qu’il n’avait pas voix sur ce chapitre.
– Après tout, cela m’est égal, dit Passavant en riant.
– Écrivez que cela lui est égal et qu’il a ri, dit gravement le juge.
Ce fut ainsi que commença le procès. À toutes les questions qui lui furent posées, Passavant répondit en se tournant vers Scas et Ocquetonville :
– Demandez à ces deux-là qui sont les meurtriers.
Ce jour-là, il fut établi que l’accusé s’était trouvé, d’après ses propres aveux, dans la rue
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