Jean sans peur
Barbette, à l’heure même où le duc d’Orléans avait été tué.
Le lendemain, nouvelle visite, nouvelle séance ; les témoins déposèrent et furent unanimes : l’accusé avait été vu fuyant, couvert de sang ; Scas raconta que Passavant lui avait dit la haine qu’il nourrissait contre le malheureux duc ; Ocquetonville assura qu’il avait reçu les confidences de Guines et de Courteheuse ; ces pauvres gentilshommes, sortant d’un cabaret de la rue Barbette, avaient entendu les cris du duc d’Orléans, s’étaient élancés à son secours, mais étaient arrivés trop tard ; ils avaient pu cependant voir le meurtrier qui tenait encore la hache à la main, et avaient essayé de l’arrêter ; Passavant avait alors juré de se venger de ces deux vaillants seigneurs, et il avait tenu parole.
Le lendemain, troisième et dernière séance, très courte, qui fut consacrée à la lecture du jugement. Ensuite de quoi, le greffier annonça au condamné qu’il serait exécuté le jour suivant, sur l’heure de midi, en place de Grève.
Il faut remarquer que le geôlier fut présent à cette dernière séance, à laquelle parurent les juges et les gardes : mais les témoins ne revinrent pas.
Après la lecture du jugement, les juges se retirèrent, escortés par les gardes. Mais le greffier demeura un instant encore.
– Par grâce et compassion de notre bon sire le roi, dit-il, vous pouvez passer la nuit en prières dans la chapelle du couvent des Célestins. Le voulez-vous ?
Passavant, qui à ce moment regardait le geôlier, crut s’apercevoir que cet homme lui faisait signe de refuser. Ce n’était peut-être qu’une imagination, mais il répondit qu’il prierait tout aussi bien dans son cachot, réponse dont le greffier se montra satisfait.
Quelques instants plus tard, le condamné se retrouva seul. Le geôlier était parti, lui aussi, le laissant dans les ténèbres. Passavant commença à désespérer.
– Demain ! murmura-t-il. Demain, tout sera fini…
Le geôlier n’avait pas tenu sa promesse de venir se mesurer avec lui les épées à la main : c’était le seul espoir du prisonnier qui s’envolait. Maintenant, il était trop tard, sans doute…
– Eh bien ! tant mieux, après tout ! songea Passavant. Que ce pauvre diable vive sa vie ! N’eût-ce pas été pour moi une horrible chose que de conquérir à ce prix ma liberté ?
Ainsi, tantôt reportant son souvenir vers Odette, tantôt songeant à Roselys qu’il ne reverrait plus jamais, le jeune homme finit par s’endormir – quelques heures de lourd sommeil coupé de rêves sanglants. Lorsqu’il se réveilla, tout frissonnant, il se murmura :
– Est-ce encore la nuit ? Ou bien le jour a-t-il commencé ?… le jour où je dois mourir…
Il se disait cela. Mais, quoi qu’il fît, il n’arrivait pas à se convaincre que l’heure de la mort allait réellement sonner. Cela lui paraissait absurde. Son active imagination inventait des délais, des catastrophes qui le délivreraient, et tout à coup il entendit la porte s’ouvrir. Le vague et tenace espoir qui était au fond de sa pensée aussitôt s’évanouit.
– On vient me chercher, songea-t-il. Eh bien ! nous verrons. Il y a loin de l’Hôtel Saint-Pol à la place de Grève. Si je n’arrive pas à fuir, je me ferai tuer par les gardes. J’arracherai à l’un d’eux sa pique, sa dague, n’importe quel moyen de défense, et je mourrai les armes à la main, comme un vrai Passavant.
La porte s’ouvrit et se referma l’instant d’après.
C’était le geôlier.
– La dernière visite du geôlier, songea Passavant… Mais… que tient-il sous son bras ?… Des épées ?…
Le prisonnier se mit à palpiter. Oui, le geôlier venait de fixer la torche à la place habituelle et, se tournant vers Passavant, lui montrait deux épées.
Passavant fit un effort pour conserver son air d’indifférence.
– Est-ce le jour ? demanda-t-il d’une voix qui ne tremblait pas.
– C’est le jour, dit le geôlier. Il est bientôt onze heures du matin. Dans quelques minutes, les gardes viendront vous prendre.
– Mais ces épées ? fit Passavant.
– Eh bien, ne m’avez-vous pas promis de vous mesurer une dernière fois avec moi ? Nous avons le temps. Mais il faut que je vous demande aussi une faveur. Je vous ai dit que je serais fier de toucher l’épée d’un vrai gentilhomme… Or, qui fait le gentilhomme ? Le costume !…
– Le
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