Jean sans peur
journée de récits héroïques, de confidences et surtout de substantielle ripaille, en sorte que Passavant se trouva tout à fait remis de son long jeûne dans les galeries qu’il appelait son carême noir. Sur le soir, il s’équipa de pied en cap, s’arma en guerre.
– Où allez-vous ? demanda Tanneguy. Est-ce Ocquetonville, ou Scas, que cette nuit vous allez occire ? J’en suis, mort-diable ! Laissez-m’en au moins un.
– Non, dit Passavant. Scas et Ocquetonville peuvent dormir tout leur soûl, et vous aussi. Je vais tout simplement chez quelqu’un à qui j’ai promis de couper les oreilles et la langue.
– Tout simplement ! fit Tanneguy ébahi. Peste ! je ne voudrais pas avoir excité chez vous cette simplicité. Mais je devine… Vous allez chez cet infâme sorcier… Je vous accompagne.
Passavant secoua la tête et déclara qu’il irait seul. Du Chatel n’insista pas. Mais, lorsque le chevalier eut descendu l’escalier, il boucla sa rapière, sortit à son tour, et de loin suivit son jeune ami.
– Je ne me reconnais plus, songeait le capitaine tout en piétinant dans la neige. Autrefois, j’avais le cœur plus dur, il me semble. Il est vrai que ce jeune homme a une manière d’agir et de parler qui m’a tout à fait touché.
Bref, le brave capitaine, à la suite de Passavant, arriva dans la Cité, et s’arrêta devant la porte de Saïtano. Et il commença tranquillement à monter sa faction, décidé, si le chevalier tardait trop, à entrer de force.
Quant à Passavant, il avait heurté le marteau. Il avait vu s’ouvrir le judas et répondu à la voix qui lui demandait ce qu’il voulait :
– Je viens de la part de la reine.
La porte s’était aussitôt ouverte, et Passavant s’était trouvé nez à nez avec Gérande qui tressaillit et poussa un léger cri. Puis, prenant son parti de l’aventure, elle le conduisit dans la deuxième salle où Saïtano, penché sur une table, s’absorbait dans un mystérieux travail devant des éprouvettes et des cornues. Le savant n’entendit pas entrer. Passavant, d’un geste impérieux, renvoya Gérande et s’assit dans un fauteuil. Puis, paisiblement, il tira sa dague et se mit à en essayer le fil sur le cuir de sa ceinture.
Saïtano, au bout de quelques minutes, versa le contenu d’une éprouvette dans un flacon que remplissait déjà à demi un autre liquide. Il plaça le flacon devant une lampe, l’examina un instant, le flaira, en versa une goutte dans sa main, et goûta.
Puis il poussa un soupir, marmotta de vagues paroles, et se retourna.
Il vit Passavant dans le fauteuil, affilant sa dague.
Saïtano ne fit pas un geste, ne dit pas un mot. Il demeura pensif, méditant sur l’aventure, l’esprit emporté vers de lointaines spéculations inaccessibles à la plupart des hommes. L’étonnement n’eut que peu de part dans cet état d’esprit. Passavant affilait la lame coupante et ne semblait nullement s’inquiéter du sorcier. Finalement, il se leva. Saïtano fut debout au même instant, et dit :
– Avant de me couper les oreilles et la langue, pouvez-vous patienter quelques minutes ?
– Écoutez, mon maître, dit froidement Passavant, je ne suis pas pressé. J’attendrai donc, non pas quelques minutes, mais une heure entière. Seulement, je dois vous prévenir que vous n’éviterez pas le châtiment, Quoi que vous disiez, je suis résolu à ne pas vous épargner. Sur ce, allez, je vous écoute.
– Asseyez-vous, dit Saïtano avec une sorte de tristesse.
– Je veux bien, dit Passavant.
Tous deux reprirent leurs places. Le chevalier garda sa dague à la main. Il avait l’œil et l’oreille aux aguets, s’attendant à quelques nouvelle trahison, et décidé à égorger le sorcier à la moindre alerte. Saïtano l’examinait furtivement ; parfois un soupir gonflait sa maigre poitrine. Il murmura :
– Pouvez-vous me dire comment vous êtes sorti des carrières ?
– C’est bien simple, dit Passavant. Quelqu’un a pris ma place et je suis sorti.
– Quelqu’un ?
– Oui, le sire de Courteheuse. Je me suis heurté à lui dans une cave en rotonde. Je l’ai tué. C’était son tour, paraît-il. J’ai tué Courteheuse, et je suis sorti. Par exemple, je dois dire que j’avais faim et soif. Vous m’aviez prévenu : ceux qui s’égarent dans les carrières y meurent de faim, de soif, et d’épouvante. Aucune de ces horreurs ne m’a manqué. Pourquoi m’avez-vous infligé un pareil
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