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Jean sans peur

Jean sans peur

Titel: Jean sans peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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véritable.
    – Quel homme ? fit Passavant étonné.
    – Jean de Bourgogne !
    – Ah ! ah ! En effet, maître, cette fois vous pourriez avoir raison. Je hais cet homme.
    – Et si vous saviez toutes les raisons que vous avez de le haïr… Écoutez, vous aimiez Laurence d’Ambrun comme une sœur… Eh bien, c’est Jean de Bourgogne qui a poignardé Laurence d’Ambrun.
    – Pourquoi ? Pourquoi ? Qu’y avait-il de commun entre elle et Jean Sans Peur ?
    – Ce qu’il y avait de commun ! cria Saïtano.
    Il s’arrêta soudain au moment où il allait dire : Laurence d’Ambrun, c’était l’amante de Jean Sans Peur. Roselys, c’était la fille de Jean Sans Peur.
    Froidement, après deux minutes de réflexion, il reprit :
    – Je le sais, mais je ne puis le dire. Un autre vous le dira peut-être. Moi, je ne puis et ne dois vous assurer que d’une chose : c’est que la reine Isabeau est venue ici chercher un poison pour tuer Laurence d’Ambrun et que je lui ai donné, moi, la liqueur de vie que j’ai composée. Je sais et puis dire que Jean de Bourgogne a poignardé Laurence – et qu’elle n’est pas morte parce qu’elle avait bu ma liqueur.
    – Jean Sans Peur ! Isabeau de Bavière ! murmura Passavant. Je vous haïssais d’instinct. Voilà donc d’où me venaient ces pensées de défiance que vous m’inspiriez… Où est-elle, maintenant ? Vous savez tout cela !
    – Je le sais. Mais je ne puis le dire…
    – Enfer ! Veux-tu donc…
    – Je veux, interrompit Saïtano avec une sorte de majesté, je veux que vous restiez ce que le destin a voulu que vous fussiez : « le témoin ! »
    – Le témoin ?…
    – Oui… le témoin de ce qui se passa au logis Passavant la nuit où vous fûtes amené ici et déposé sur cette table de marbre. Vous êtes le témoin, le terrible témoin qui peut, d’un mot, tuer le puissant duc. Écoutez, je ne veux pas contrarier le destin, moi. D’ailleurs, que suis-je ? Un homme ? Non. Je suis la science. Mais c’est vous que le destin a désigné pour arrêter Jean de Bourgogne dans son vol audacieux et lui briser les reins. Je ne dirai rien de plus.
    – Tu parleras ! cria Passavant chez qui la colère commençait à bouillonner.
    Saïtano, sans répondre, prit le chevalier par la main, le conduisit dans la troisième salle jusque devant l’armoire de fer. Il l’ouvrit. Elle contenait trois tablettes superposées. Le rez-de-chaussée était occupé par un coffre en fer. Les trois étages étaient habités par d’innombrables flacons. Passavant regardait avec une indicible curiosité, et l’angoisse étreignait sa gorge.
    Saïtano parla ainsi :
    – Je ne veux pas vous dire de quoi vous avez été le témoin, je ne veux pas vous dire ce qu’est devenue Laurence d’Ambrun, je ne veux pas vous dire ce qu’est devenue Roselys que vous cherchez. Il y a une destinée. Il y a une mathématique du destin. Je ne suis pas un homme. Je suis la science. Je n’ai pas le temps, ni la volonté de me mêler à l’histoire des hommes : je suis à la recherche du Grand Œuvre et ceci explique ma vie, mes mensonges, mes réticences. Je ne veux pas me mêler de corriger la destinée, ni d’entraver sa mathématique. Si le destin doit vous instruire, vous serez instruit. Ne me demandez donc pas plus que je vous donne. Ce que je puis vous donner, le voici. Retenez-le. Car votre vie est là ! D’abord, vous êtes le témoin, le terrible témoin redouté de Jean Sans Peur. Ensuite, Laurence d’Ambrun et Roselys sont vivantes. C’est tout. Ne demandez pas plus !
    Le chevalier écoutait avec une ferveur qui l’étonnait lui-même.
    Saïtano leva la main et désigna la tablette supérieure.
    – Là, dit-il, sont les poisons. Tenez, voyez ce tout petit flacon : avec une seule goutte sur la langue, vous pouvez foudroyer un homme. En voici d’autres qui procurent de longues agonies, de façon que le meurtrier ait le temps de gagner au large. Mais ce sont là des jeux enfantins. Voyez ce liquide incolore comme de l’eau ; il est également sans saveur et sans odeur. Vous pouvez en faire boire à celui que vous voulez tuer. Il croira avoir bu de l’eau. Il n’éprouvera aucun malaise. Il vous quittera en parfaite santé. Vous entreprendrez alors quelque voyage et reviendrez au bout de trois ans pour apprendre que quinze jours avant votre arrivée, alors que vous étiez loin, votre cher ennemi est mort tout à coup d’une fièvre chaude.

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