Jeanne d'Arc Vérités et légendes
de ses biens et titres actuels (le
Dauphiné) comme futurs (la couronne de France) à cause de « ses horribles
crimes et délits ». Charles aurait fait assassiner un an plus tôt Jean
sans Peur sur le pont de Montereau. Le voilà devenu le « soi-disant dauphin ».
Le déshéritement prouve la filiation et non la bâtardise. Quel intérêt aurait
eu Henry V à proclamer l’adultère éventuel d’Isabeau ? Il tenait de
son épouse Catherine, elle-même fille d’Isabeau, une partie de ses droits. Il
fallait qu’elle et Charles fussent légitimes. Quand Jeanne d’Arc dit plus tard
que Charles VII est vrai héritier de France, elle proclame à la fois la
légitimité de Charles et la nullité de par Dieu du traité de Troyes.
Pourtant, dans ces années 1428-1429, les bruits reprennent. À
la cour de Bourgogne, on vient d’écrire le Pastoralet , un poème
bucolique où, malgré les efforts de Leonet (le duc de Bourgogne), la reine
Belligère fait les yeux doux à Tristifer (le duc d’Orléans). Ces rumeurs
circulent surtout du côté de l’Empire. En juin 1429, un humaniste italien, le
Pseudo-Barbaro, dénonce la reine adultère comme la cause de la colère de
Dieu ; à Metz, la chronique de Jacques Daix fait de même. Mais ailleurs,
rien. Il faudra attendre le règne de Louis XI pour entendre le roi proclamer
que sa grand-mère était une « grande putain ». Mais toutes les
femmes, ou à peu près, l’étaient à ses yeux.
On ne peut donc pas dire tout à trac : « Les mœurs
légères d’Isabeau étaient connues de tous [28] », parce que ce n’est pas vrai. Les
rumeurs sont chronologiquement (1404-1407, 1428-1429) et géographiquement
situées. Elles sont instrumentalisées par la propagande bourguignonne. Toute
femme de pouvoir est potentiellement une Marie-couche-toi-là. Encore
aujourd’hui ?
Petits problèmes de
sexe…
Ce petit garçon que les mythographes ont déclaré bâtard,
Jeanne va le remplacer. En réalité, le bébé est mort et il a été enterré à
Saint-Denis où le Religieux est moine.
Chantre de l’abbaye, il s’appelle Michel Pintouin. Suivons-le
quand il dit qu’il fut inhumé près de ses frères, probablement donc dans le
même tombeau que Charles, mort en 1386 à trois mois, que décrit le 10 août 1793
le procès-verbal des exhumations à Saint-Denis. Et, s’il n’a pas eu de
fondations funéraires particulières (ce qui est possible), les prières pour
tous les enfants de France sont nombreuses à Saint-Denis. Un enfant d’un jour
qui venait d’être ondoyé pouvait-il avoir eu le temps de commettre tant de
péchés qu’il soit nécessaire de fonder pour lui des messes spéciales ou
était-il directement allé au Paradis ?
C’était un garçon : lors d’un accouchement public, il
est difficile de tricher sur le sexe, qui est vérifié (un garçon est un
héritier possible, une fille non). Que faire alors ? P. de Sermoise,
mythographe notoire, fait naître des jumeaux : un petit Philippe qui meurt
et une petite Jeanne conduite à Domrémy.
Plus récemment, on a imaginé que ce garçon était une fille
(l’entourage et les médecins de la reine étaient donc des incompétents notoires.
Ou des bâtardisants avant l’heure, peut-être ?). La seule preuve apportée
est une simple annotation ajoutée en 1770 ou 1783 à l’Histoire de France de Villaret.
« Le dernier enfant d’Isabeau fut une fille nommée
Jeanne qui ne vécut qu’un jour… » Hormis qu’il est assez drôle d’accepter
une mention de la seconde moitié du XVIII e siècle et de rejeter le
texte du Religieux de Saint-Denis parce que le papier date de 1450, cet ajout à
Villaret est une erreur évidente.
Prenons les douze enfants de Charles VI et d’Isabeau
avec toutes leurs dates de naissance et de décès. Il n’est pas très difficile
de constater que les prénoms Charles comme Jeanne, qui sont ceux des
grands-parents (Charles V et Jeanne de Bourbon), sont donnés chacun trois
fois : pour Charles, le bébé mort à trois mois en 1386, l’enfant mort à
dix ans en 1401 et le futur Charles VII né en 1403. Pour les petites
Jeanne, l’une née en 1388 est morte à deux ans, l’autre née en 1391, la future
duchesse de Bretagne, est toujours en vie. Comme beaucoup de couples, le roi et
la reine « refont » les enfants morts en bas âge, c’est-à-dire qu’ils
redonnent au prochain nourrisson qui naît dans le sexe voulu le prénom du bébé
qui vient de
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