Jeanne d'Arc Vérités et légendes
Armagnacs ont cru que Jeanne était une vraie
prophétesse, les Bourguignons qu’il s’agissait d’une fausse. Le mouvement
prophétique des années 1350-1450 est une réalité bien connue des historiens [29] .
La question n’a jamais cessé de troubler les esprits.
Pourquoi le roi Charles VII, qui, en 1429, avait tant de raisons de se
montrer méfiant, accepta-t-il de donner une chance à une petite paysanne
illettrée et venue d’une lointaine frontière ? Les explications les plus
invraisemblables ont été données à partir du XIX e siècle, quand le
prophétisme eut à peu près disparu de la pratique politique ou religieuse et
devint incompréhensible. Or, Jeanne avait été accueillie pour une raison bien
simple. C’était une prophétesse entre beaucoup d’autres et les rois de France
comme ceux de l’Ancien Testament accueillaient traditionnellement les messagers
de Dieu. Chacun pense en effet que Celui-ci intervient toujours dans ce monde
qu’il a créé et maintient dans l’Être. À plus forte raison, Dieu
s’intéresse-t-il à l’histoire des hommes. En temps de péril, il envoie à son
peuple un ange, une femme, un ermite ou un berger, car Jeanne appartient à une
série que les spécialistes connaissent bien. Entre 1350 et 1450 se conjuguèrent
la crise économique, la peste, les défaites contre l’Angleterre et enfin le
schisme au sein de l’Église qui vit la chrétienté avoir deux puis trois papes
rivaux. On put croire que le monde vieillissait, se détraquait, voire même
approchait de sa fin. Rois, nobles et prélats, tous ceux qui étaient
institutionnellement en charge du peuple échouaient et s’avéraient incapables
de trouver une réponse aux malheurs des temps.
Alors les prophètes se multiplièrent. Brigitte de Suède et
Catherine de Sienne adressèrent à la papauté leurs visions réformatrices pas
toujours bien acceptées. Pour figurer au calendrier des saints, Brigitte dut
être canonisée à trois reprises ! En France, la prophétie est tardive,
contrairement à l’Italie où, dès le XIII e siècle, les luttes entre
guelfes et gibelins ont inspiré toute une littérature prophétique à usage des
affrontements entre partis. Un peu plus tard, chaque cour seigneuriale abrite
une « sainte vivante » qui prédit les naissances, les victoires ou
prie pour le prince. Celles-ci sont très souvent liées aux frères mendiants.
Sacrés et faiseurs de miracles, les rois de France n’ont
longtemps pas eu besoin de prophètes, puisqu’ils étaient eux-mêmes pourvus
d’une sacralité suffisante. C’est à la fin du XIII e siècle qu’ils
consultent pour la première fois des béguines de France du Nord, qui se disent
prophètes. Ainsi Philippe III s’adressa-t-il à Elisabeth de Sparbeke,
béguine à Nivelles, pour savoir si sa seconde femme Marie de Brabant avait ou
non fait empoisonner le jeune héritier du trône, pour mettre un jour sur le
trône son propre fils. Et c’est à partir du milieu du XIV e siècle
que se dirigent vers la Cour des inspirés(es) de plus en plus nombreux, preuve
de l’existence d’une opinion publique sensible aux malheurs du royaume.
Ainsi, peu avant la défaite de Poitiers, un écuyer du
Bassigny vint-il trouver Jean II pour le dissuader de par Dieu d’affronter
les Anglais. Le roi n’en tint pas compte. Le règne plus paisible de
Charles V marque une régression du phénomène, même si le roi utilise comme
« sainte vivante » une prophétesse à temps plein, Guillemette de La
Rochelle, hébergée au palais. Ses prières auraient, paraît-il, contribué à la
naissance d’un héritier et au succès de la reconquête de 1372.
Les difficultés du règne de Charles VI relancent le
phénomène en deux vagues : les excès fiscaux de la régence suivis par la
folie du roi font surgir Pierre Hug ou Constance de Rabastens. Le premier,
« qui semblait une bien dévote créature d’âpre vie et grande
pénitence », réclame une baisse des impôts qu’il n’obtient pas,
l’entourage du roi le jugeant « folastre ». Charles VI n’en
congédie pas moins ses tuteurs quelques mois plus tard. La seconde est une
humble veuve des Pyrénées dont les visions, favorables au pape Urbain VI,
s’adressent aussi au roi : qu’il fasse pénitence et se réconcilie avec les
Anglais pour partir en croisade. Plus intéressante encore, Marie Robine, une
paysanne illettrée et malade qui a fait l’objet d’un miracle, en
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