Jeanne d'Arc Vérités et légendes
une
manipulation locale due à Baudricourt. Yolande d’Aragon en apparaît comme
l’instigatrice à la fin du XIX e siècle. Le complot généralisé est
une nouveauté du XX e siècle.
Là où les Armagnacs disaient envoyée par Dieu, les
Bourguignons répondaient manipulée par les hommes. C’est entre 1440 et 1442 que
Martin Lefranc, secrétaire des papes Félix V et Nicolas V, expose
clairement l’alternative pour la première fois dans un dialogue entre deux
personnages de fiction. D’un côté, le Champion expose le rôle décisif de Jeanne
dans la guerre : « C’est Dieu qui fit son succès. Elle abattit
l’orgueil des Anglais, fit couronner le roi, elle en aura renom
perpétuellement. » De l’autre côté, l’Adversaire présente les thèses
bourguignonnes : elle avait une formation militaire (« page fut d’un
capitaine ») et fut envoyée au roi par :
Aucun qui Orléans aima
Qui l’enhardit, l’enflamma
Et enseigna ce qu’elle dirait.
Il la fit déguiser en bergère et lui conseilla d’utiliser
des « signes controuvés » (de faux enchantements).
Avant son avènement au pontificat en 1458, le pape
Pie II, renseigné par les Bourguignons, écrit dans sa Description de
l’Europe : « Était-ce œuvre divine ou humaine ? Il me serait
difficile de l’affirmer. Quelques-uns pensent que les Anglais prospéraient, les
grands de France étant divisés entre eux, sans vouloir accepter la conduite
d’un des leurs, peut-être que l’un d’eux plus sage et mieux éclairé aura
imaginé cet artifice de produire une vierge divinement envoyée, et, à ce titre,
réclamant la conduite des affaires. Il n’est pas un homme qui puisse refuser
d’avoir Dieu pour chef. C’est ainsi que la direction de la guerre et le
commandement de l’armée furent transmis à la Pucelle. »
Quel qu’ait été cet hypothétique deus ex machina que
Pie II est le seul d’ailleurs à mentionner, l’affaire fut confiée sur
place à Robert de Baudricourt. Voici comment Jean de Wavrin, qui combattit dans
l’armée anglaise à Patay en 1429, rapporte les bruits qui couraient
alors : « Elle fut envoyée à Baudricourt et celui-ci l’introduisit et
apprit ce qu’elle devait faire et la manière de se tenir, se disant Pucelle
inspirée par la Providence divine et qu’elle était transmise devers le roi pour
le remettre en possession de son royaume. »
Cette propagande bourguignonne survit au XVI e siècle à travers les écrits des protestants. Le chroniqueur Bernard Girard du
Haillan affirme, vers 1570, que cette invention de la Pucelle fut utile pour
donner au peuple l’élan nécessaire à la victoire, « que le miracle de
cette fille fût composé, aposte (imposture) ou véritable ». La fin
justifie les moyens, Machiavel est passé par là.
Remarquons quand même qu’à l’exception de Pie II, qui
opte pour l’anonymat, tous nos auteurs supposent que ce sont les Armagnacs
(Dunois, Poton, La Hire) qui ont exploité la venue de Jeanne, et Baudricourt
qui l’a organisée sur place, en fonction des circonstances politiques du
moment. Aucun ne pense qu’il s’agit d’un complot monté dès la naissance de
Jeanne, ni d’un Messie consciencieusement formé des années durant. Nul
n’envisage non plus une responsabilité quelconque de la maison d’Anjou dans
cette affaire.
Ce sont les bâtardisants qui vont créer cette thématique.
Puisque Jeanne est fille de roi, il faut qu’elle ait été éduquée comme telle.
Elle a dû apprendre à lire et à écrire, elle a forcément reçu une formation
intellectuelle qui lui permet de parler le français de la Cour et non le patois
de sa Lorraine natale, elle sait monter à cheval et conduire les armées. Mais
alors, qui lui a appris ?
Quelles
compétences ?
Jeanne a dit à plusieurs reprises, au procès en
condamnation, ne savoir ni A ni B, c’est-à-dire n’avoir pas étudié l’alphabet,
puisque l’école médiévale commence par apprendre aux enfants à lire avant
d’aborder, bien plus tard, l’écriture. Cette société comprend donc pas mal de
lisants mais peu d’écrivants. Si Jeanne ne sait pas lire, à plus forte raison
elle ne sait pas écrire.
Avec le temps, elle a appris à signer : trois de ses
lettres seulement, les plus tardives, sont signées. Les signatures conservées
diffèrent : soit elle copie un modèle, soit on guide sa main. Mais en
revanche elle dicte, comme il est normal, nombre de
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