Jeanne d'Arc Vérités et légendes
la rébellion et de l’orgueil.
Ces voix qu’on peut sentir et embrasser sont, pour ces intellectuels qui
croient en un Dieu transcendant et lointain, trop fréquentes, trop familières
et surtout trop charnelles. Dieu a-t-il à se déplacer pour se soucier des
problèmes basiques d’une prisonnière dont la place dans la chrétienté est si
peu importante ? Bien sûr, Dieu fait parfois des choses bizarres. Mais les
apparitions doivent être transparentes et immatérielles. Or Jeanne les voit,
les sent, les touche, ce qui est impossible sinon hérétique.
Les voix et la
médecine
C’est surtout au XIX e siècle ou dans les
premières décennies du XX e siècle que le problème des voix divisa
aussi bien les universitaires que l’opinion. Si les historiens catholiques
n’avaient pas vraiment de difficultés avec les voix (si Dieu existe, Il peut
tout), les historiens laïcs se trouvaient eux devant un problème complexe.
La solution la plus simple consistait à faire des voix de
Jeanne les voix de sa conscience. Ainsi chez Henri Martin :
« L’illusion de l’inspiré consiste à prendre pour une révélation apportée
par des êtres extérieurs les révélations intérieures de cette personnalité qui
est en nous », ou chez Ernest Lavisse : « Jeanne écoutait avec
délices ces voix de sa conscience. Elle vivait entourée des êtres célestes que
les émotions de sa conscience faisaient surgir. »
Il n’en reste pas moins que toutes les consciences ne
fonctionnent pas sur ce mode extraordinaire. Le plus simple fut alors de
plaider des circonstances peu courantes.
Les troubles avaient commencé lors de la puberté (qui se
serait mal passée), d’autant que les chocs traumatiques n’avaient pas manqué à
l’adolescente. Elle avait vu brûler son village et sa sœur Catherine était
morte en couches. Pas besoin d’ajouter le viol de cette pauvre fille, comme le
fait le cinéaste Luc Besson.
À partir des années 1850, la médecine [30] tout entière fut convoquée au chevet de
Jeanne sans aboutir à un diagnostic unanime. Les résultats éclairent plus sur
l’évolution des idées médicales que sur l’état de santé de Jeanne. Comment
faire un diagnostic sans voir le patient ni pouvoir autopsier un cadavre brûlé
il y a plusieurs siècles ?
On chercha d’abord du côté psychiatrique. Jeanne fut victime
d’« hallucinations unilatérales droite, fréquentes dans l’hystérie »
(vers 1878), puis de schizophrénie (après 1900). Plus récemment, Lucie Smith attribua
les aventures de la Pucelle à des tendances incestueuses refoulées mais
réciproques qui l’auraient unie à son père. Puis, la Pucelle transféra ses
désirs sur le roi Charles VII, tout en restant sexuellement frustrée et au
final dépressive (1976).
D’autres cherchèrent du côté de l’identification
sexuelle : il y eut des Jeanne lesbiennes ou travesties dans les années
1970. De quoi rêvent les jeunes filles en pantalon ? D’autres, enfin,
plaident la malformation sexuelle. Jeanne aurait été un homme affecté d’un
testicule féminisant, anomalie très rare qui se traduit par une absence de
toison pubienne (1981), d’où une personne normalement formée mais
stérile ! Seulement, six cents ans après, on ne sait rien de la toison
pubienne de Jeanne, qui « avait tout ce qu’une femme doit avoir »,
selon les médecins du temps. Les textes ne disent donc pas précisément qu’elle
en avait une, mais ils ne disent pas non plus qu’elle n’en avait pas.
Plus folklorique encore, la tuberculose, que Jeanne aurait
contractée, en gardant le troupeau de son père, d’une vache folle avant
l’heure, puisque cette théorie est antérieure à 1918 ! Or la tuberculose
peut provoquer des lésions ou des humeurs dans le lobe temporo-sphénoïdal
gauche, provoquant des visions ou des voix.
Les médecins de 1430 étaient peut-être moins savants, mais
ils avaient le patient sous la main. Ils se sont posé les mêmes
questions : est-ce une femme ou est-ce un homme ? Est-elle folle ou
saine d’esprit ? Ils conclurent à une femme saine d’esprit. Jules Quicherat,
qui publia au milieu du XIX e siècle tous les textes connus sur
Jeanne, le pressentait : « Je prévois de grands périls pour ceux qui
voudront classer le fait de la Pucelle parmi les cas pathologiques. »
Reste une dernière possibilité : les voix seraient une
supercherie. Mais de qui ?
Une
supercherie ?
Jeanne
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