Jeanne d'Arc Vérités et légendes
montraient trop curieux. Leur âme n’était pas assez pure pour qu’ils les
entendissent : qu’ils s’améliorent et ils verraient (enfin, peut-être).
Presque toute notre information provient donc du procès de
Rouen, où les juges ont vite compris qu’ils pouvaient, grâce aux voix, faire
condamner Jeanne. Les voix peuvent conduire à l’hérésie et au bûcher. Les juges
le savent et Jeanne s’en doute. Ils multiplient donc les questions.
Car les voix de Jeanne ne sont pas vraiment conformes à ce
que pensent des voix les théologiens qui la jugent. Elles sont
fréquentes : deux ou trois fois par semaine, quand elle « vint en
France », trois fois par jour lors des grands interrogatoires de février
1431. Elles se manifestent de nuit comme de jour, car la voix n’est pas de
l’ordre du rêve. Quand elle veut parler à Jeanne, elle la réveille.
La voix peut se faire entendre partout, même si Jeanne ne
sait pas bien d’où elle vient précisément, à l’extérieur (dans le jardin de son
père, près de la fontaine, dans les vignes) comme à l’intérieur de la prison de
Rouen. « La voix était dans le château. »
Avec le temps, Jeanne sait comment faire venir la voix si
elle a besoin d’elle (besoin d’être consolée ou de savoir quoi répondre le
lendemain à une question périlleuse). Il lui faut jeûner (les voix ont une
préférence pour le vendredi ou le temps de Carême), et prier. Le silence du
crépuscule leur convient comme le battement régulier des cloches, que la
Pucelle fait sonner quand le soir tombe : voix de Dieu sur voix de Dieu.
Les sons font vibrer l’air et agglomèrent des particules lumineuses qui deviennent
visions et paroles. Mais parfois la voix se refuse ou disparaît trop
rapidement, et Jeanne pleure, seule et abandonnée.
Longtemps la ou les voix n’ont eu ni identification précise
(c’est la voix de Dieu ou celle d’un ange, mais ceux-ci sont les porte-parole
de Dieu) ni corporéité. Ce sont les questions curieuses des juges qui vont les
leur donner. Elles sont trois : l’archange saint Michel, sainte Catherine
et sainte Marguerite.
Qui sont tes
voix ?
Michel lui serait apparu le premier pour lui apprendre à « soi
gouverner ». Il lui sert d’ange gardien, mais il ne vient pas
souvent : « Il y a bien quatre mois que je ne l’ai vu. »
L’archange est le protecteur du royaume de Bourges et figure sur les drapeaux
de Charles VII depuis 1420. Mais Jeanne le voit plutôt en ange (il figure
comme tel sur son étendard) qu’en combattant, différent donc des drapeaux du
roi, où il porte l’armure. Catherine d’Alexandrie est une fille de roi qui a
comme Jeanne refusé le mariage, pour se retrouver dans une prison et lutter
contre une assemblée de cinquante docteurs. Les juges de Jeanne ne sont-ils pas
cinquante à certaines séances ? Catherine, dont les reliques reposent en
Occident, principalement à Rouen, est la patronne de tous ceux qui sont
maltraités ou rêvent de s’évader. Et Jeanne en rêve. Marguerite d’Antioche, qui
resta vierge et fut bergère, est la plus discrète des voix de Jeanne. C’est la
protectrice des femmes en couches, lourde responsabilité à une époque où une
femme sur quatre meurt en mettant au monde son premier-né. Les voix
réconfortent, guérissent, conseillent. En un sens, elles sont la vraie famille
de Jeanne, ses frère et sœurs du Ciel, qui jamais ne l’abandonneront.
Les juges ne voient pas du tout les choses ainsi. Certes,
ils admettent tous que Dieu peut parler aux hommes. Il aurait pu s’adresser à
l’un d’entre eux. Mais il faut bien constater qu’il ne l’a pas fait. Il a
choisi au contraire de parler à une gamine illettrée et irrespectueuse. Ou
celle-ci n’est-elle pas plutôt la victime d’une illusion diabolique ?
Cette seconde solution leur plairait bien parce qu’elle est la seule à
préserver leur supériorité sur l’accusée, supériorité sociale et
intellectuelle. Elle n’est qu’une fille de paysan sans lettres et si jeune, eux
sont de respectables docteurs, qui ont tant travaillé pour en arriver là. Elle
n’a rien fait et Dieu lui parle ! Heureusement, ils savent, eux que tourne
en ridicule cette fille qui parle avec Dieu, que Satan, Belial et Behemot
peuvent se déguiser en anges de lumière. Les universitaires vont donc
s’efforcer de démontrer que Jeanne est pécheresse, que ses voix sont
démoniaques et l’ont conduite sur le chemin de
Weitere Kostenlose Bücher