Jeanne d'Arc Vérités et légendes
elle-même aurait inventé les voix mais elle acceptera
de mourir plutôt que d’y renoncer. Se fait-on tuer pour une chose qu’on aurait
inventée ? Ou alors, elle en rajoute sur le sujet pour impressionner ses
juges, ce qui n’est pas impossible. Ceux-ci la soupçonnent d’affabulation
lorsqu’elle décrit l’entrevue du signe, où l’ange aurait apporté à
Charles VII une couronne que l’archevêque de Reims aurait remise au roi.
Voilà bien une imposture inventée pour tromper la Cour par un esprit
orgueilleux et imaginatif. Cette scène, même certains avocats du roi comme
Thomas Basin la jugent peu vraisemblable. Les autres pensent que Jeanne a parlé
ici par allégorie ou par parabole. Il n’y aurait eu qu’une simple promesse de
couronnement. Mais, pour le reste, les voix sont des voix, que l’évêque de
Lisieux et les autres juges de Rouen penseront mauvaises, puisqu’elles
viendraient du diable.
En fait, même chez les révisionnistes, une telle position
est rare. À l’origine, la plume de Michelet : « Dans cette prison,
les murs avaient des yeux. » Winchester, Cauchon, l’inquisiteur en avaient
la clé et pouvaient observer l’accusée à leur guise. « On avait percé la
muraille. » Bedford lui-même aurait ainsi assisté à la vérification de la
virginité de Jeanne ! Il est vrai que la prison reçut de nombreuses
visites : ainsi, le 13 mai 1431, Warwick et ses invités, dont Aymon de
Macy, vinrent voir la Pucelle. Ils entrèrent tout bêtement par la porte. Il n’y
a pas lieu de soupçonner un passage secret. Les Anglais étaient chez eux dans
le château de Rouen.
Bien sûr, maître Nicolas Loiseleur, se faisant passer pour
un Français prisonnier, « entra parfois secrètement » dans la prison,
pour persuader Jeanne de ne pas se soumettre au jugement de l’Église. Il
rapportait ensuite aux juges ce qu’elle lui avait dit (à titre personnel, voire
même en confession). Personne en revanche ne confirme que les Anglais, désirant
sa mort, allaient de nuit près de son cachot et, « feignant de parler en
révélation » (c’est-à-dire jouant les voix), l’exhortaient, si elle
voulait échapper à la mort, de ne pas se soumettre au jugement de l’Église.
Ces Anglais cachés dans l’épaisseur du mur deviennent
aujourd’hui, sous la plume d’esprits inventifs, des inconnus cachés derrière
des rideaux qui jouent les voix ! Malhabilement d’ailleurs, car Jeanne
comprenait parfois fort mal ce qu’ils disaient, conviennent nos mythographes.
Comment les trous dans les murs se sont-ils changés en rideaux, dont le Moyen
Âge ignore l’usage ? Il est vrai que le rideau est un accessoire théâtral
indispensable, de Shakespeare qui y dissimule Polonius, dont les pieds
dépassent malencontreusement, à Feydeau où l’amant s’y cache, quand ce n’est
pas dans le placard. En fait, il s’agit probablement d’une interprétation
abusive d’un passage du témoignage de Manchon sur les notaires cachés au début
du procès dans une fenêtre derrière des tentures. Ces notaires ont évidemment
pour vocation d’enregistrer, et non de fournir des réponses ! Un certain
nombre d’interrogatoires de Jeanne ont, en effet, lieu dans une salle ornée de
tapisseries ou de tentures. Mais on ne peut normalement pas circuler derrière
celles-ci.
Enfin, cette explication basique et improbable des voix se
heurte à une difficulté majeure. Elle suppose que Jeanne ne saurait pas
distinguer entre voix divine et voix humaine. Soit elle ne le sait pas à ce
moment précis, soit elle n’a jamais su (et, dans ce cas, à Domrémy les voix
étaient aussi des personnes : on retombe sur le thème de la manipulation).
Mais, à Rouen, la Pucelle avait quand même toutes les raisons de se méfier. Les
Anglais voulaient sa mort, elle savait bien qu’ils ne lui souffleraient que de
mauvaises réponses. Croire aux voix derrière les rideaux, c’est implicitement
faire d’elle une fille bien sotte.
Je sais ce que les voix ne sont pas : des inconnus
cachés derrière des rideaux. Et ce que sont les voix est destiné à garder sa
part de mystère. Cela n’a en effet aucune importance. Car ce qui compte, c’est
que Jeanne et ses contemporains y ont cru. Les voix sont un fait historique
incontestable. Qu’elles aient existé ou non, elles ont fonctionné comme du
vrai.
6
Manipulation ou complot ?
C’est un mythe à étage. Les Bourguignons croyaient à
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