Jeanne d'Arc Vérités et légendes
lettres à ses secrétaires,
confesseurs, chapelains.
Le seul élément en sens contraire – qui prouverait
qu’entre 1429 et 1431 elle a acquis un minimum de familiarité avec
l’écrit – se situe le 24 février quand la Pucelle demande à ses juges
un récapitulatif des quelques questions qu’elle a laissées sans réponse ce
jour-là. Ceux-ci se mettent à rire : va-t-elle demander à ses voix de lui faire
la lecture ?
Sa façon de penser est typique des civilisations orales. Le
chiffre y est rare et imprécis. Il sert à signifier plus qu’à compter. Le 3 et
le 7 sont prioritaires. Elle a trois conseillers, elle va trois fois trouver
Baudricourt, les Anglais seront vaincus avant sept ans. Ses repères temporels
sont calqués sur le calendrier liturgique (Pâques, la Saint-Jean-Baptiste).
Dans sa propre vie, il n’y a aucun repère chronologique abstrait. « Quand
j’étais dans la maison de mon père » ou « Quand j’étais à
Vaucouleurs », dit-elle. Le temps est une succession de lieux.
Jeanne manie avec difficulté les concepts abstraits.
L’Église est, pour elle, un bâtiment de pierre au centre du village, et non
l’ensemble des croyants. À l’appui de ses dires, elle cite parfois les
proverbes qui circulent chez les paysans, mais aucune autorité écrite.
Sait-elle même ce qu’est un livre ?
Le français qu’elle parle est loin d’être parfait. Son
secrétaire rature, barre « choyeux » qu’elle a dit et rétablit la
forme correcte « joyeux ». De même « Au nom Dé » équivaut à
« Au nom de Dieu » et « Rends ti » à
« Rends-toi ». La Lettre aux Anglais, où la personne change
(je, elle) entre le début et la fin de la phrase, prouve que la grammaire n’est
pas son fort et qu’elle ignore tout de la façon normale de construire une
lettre. Quelques témoins évoquent « son idiome » particulier.
Jusqu’à quel point peut-on aujourd’hui, cinq siècles après,
apprécier la différence entre le français parlé à Domrémy et celui du Val de
Loire ? Les différences semblent tenir surtout à l’accent. Le lorrain et
le français du Val de Loire sont des langues d’oïl, tandis que les langues d’oc
sont parlées dans le sud du royaume. L’acte de location du château de l’Isle en
1420, auquel participe le père de Jeanne, rédigé par un notaire local, est
parfaitement compréhensible à deux mots près : « liable » pour
« léal » ou « loyal » et « ambe deux » (tous
deux), qui est un latinisme. Et encore Jeanne comprend-elle parfaitement le
clerc limousin (langue d’oc pourtant), même si elle rit de son accent. Les rois
de France qui parcourent toutes les provinces n’utilisent jamais officiellement
d’interprète.
Quant à l’éducation militaire, qui n’est pas courante pour
une femme, fût-elle princesse, il faut distinguer. Contrairement à ce que
pensent nos chers mythographes du XIX e siècle, le cheval n’est pas
réservé aux nobles. Tous se déplacent ainsi dès que le trajet est un peu long.
Destrier et haquenée sont de nobles montures mais le cheval de labour, le mulet
ou le bourricot sont en revanche accessibles au plus grand nombre. Jeanne avait
aussi une certaine expérience pratique de la guerre, du côté des victimes. Et
sa stratégie à Orléans est encore très simplette : à l’assaut, tout
droit !
Le problème est qu’il est difficile à l’historien de
distinguer ce que savait Jeanne à son arrivée à Chinon au Carême 1429 de ce
qu’elle savait lors du procès, deux ans plus tard. Intelligente et dotée d’une
prodigieuse mémoire, la Pucelle avait profité au mieux des excellents conseils
qui lui avaient été prodigués de toute part dans le camp du roi. Le problème du
« qui l’aurait manipulée » ne se pose donc pas du tout comme le
croient les mythographes.
Quels
maîtres ?
Il n’y a quand même pas trente-six solutions si l’on veut
cantonner la formation au village de Domrémy : les curés du lieu ou celui
de Vaucouleurs, Henry Arnolin de Gondrecourt. Jeanne se confessa à lui quelques
fois, et il témoigne en 1456 être allé souvent à Domrémy et connaître sa
famille. C’est la solution que choisit le mythographe Caze au début du XIX e siècle.
Pour l’éducation militaire, il faut choisir des militaires.
Baudricourt n’habitant pas sur place, même s’il intervient éventuellement in
fine, il ne nous reste que Jean de Nouillompont ou Bertrand
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