Jeanne d'Arc Vérités et légendes
clercs séculiers, ce qu’elle n’aurait pu faire si elle
avait été tertiaire ; son confesseur Pasquerel est un augustin, son
chapelain, cistercien. Jamais elle n’a dit « ne rien savoir sauf prier et
travailler », c’est-à-dire entrer dans le cadre de la règle du tiers ordre
telle que le pape l’avait définie à la fin du XIII e siècle. Au début
du XV e , les tertiaires ne sont, en effet, implantés qu’en Italie et
en France du Sud. Leurs fraternités sont encore quasi inconnues en Lorraine
comme en Val de Loire.
Colette de Corbie [35] est née vers 1380 dans les États de Philippe le Hardi. Fille du peuple elle
aussi, mais lettrée, elle hésite sur sa vocation religieuse : recluse puis
Clarisse après 1406. Elle a alors pour tâche d’étendre les monastères féminins
de l’Observance et en fondera 18 entre 1410 et sa mort en 1447. L’abbesse,
extrêmement célèbre de son temps, est toujours sur les chemins et bombarde les
grands de lettres qui commencent toutes par Jésus-Marie. Deux vies furent
écrites immédiatement après son décès en vue d’une canonisation, qui tarda jusqu’en
1807. Aucune ne mentionne Jeanne d’Arc.
C’est au XVII e siècle que des légendes populaires
vont lier entre elles ces deux filles du peuple, d’inspiration franciscaine et
à peu près contemporaines. En 1627, Thomas Friand, dans sa Vie de Colette, introduit un épisode prémonitoire en 1412. Passant par Domrémy, où Isabelle
Romée vient d’accoucher, Colette aurait béni l’enfant et déposé dans son
berceau son propre anneau marqué Jésus-Marie (qui devient ensuite l’anneau
magique de la Pucelle). À peu près à la même époque, les clarisses du Puy
racontent qu’en septembre 1429 Colette et Jeanne se rencontrèrent à
Moulins : « Elles s’encouragèrent et prièrent l’une pour l’autre. La
terre n’a pas à connaître ce que les envoyés de Dieu se communiquent. »
D’ailleurs, aucune trace n’en subsiste !
C’est à partir de ces légendes tardives que les mythographes
vont opérer vers 1890. Colette elle-même serait venue, à partir de 1420, à
Domrémy pour enseigner la petite Jeanne. Elle lui apparaît sous la forme de
l’archange saint Michel. Et quand elle ne peut venir, elle envoie les dames
nobles du lieu, sous l’apparence de sainte Catherine et de sainte Marguerite.
Admettons qu’une telle fantasmagorie soit vraisemblable et ait pu durer quatre
ans. La présence de Colette à Domrémy se heurte à deux impossibilités majeures.
L’itinéraire de la sainte abbesse est parfaitement connu et cartographié [36] . Elle ne passe qu’une seule fois à
proximité de la frontière mosane, c’est en 1441. Née en Picardie, Colette est
l’amie des duchesses Marguerite de Bavière puis Isabelle du Portugal. Elle ne
fonde que dans les Etats ducaux ou chez les proches de Philippe le Bon (Savoie,
Bourbonnais). Son action contribue au prestige du grand-duc d’Occident pour lequel
son dévouement est total. Il est parfaitement absurde de penser qu’une Clarisse
profondément bourguignonne ait pu former une prophétesse armagnac qui cherchait
avant tout à se débarrasser des Bourguignons. Somme toute, le rôle de saint
Michel reste à pourvoir !
Il est tout aussi absurde de penser que l’ordre ait pu
constituer une Internationale, pourvue d’une politique propre (dont on ne voit
pas pourquoi elle aurait été profrançaise). L’ordre s’étend sur toute la
chrétienté, Bourgogne et Angleterre y compris. Dans chacune des 34 provinces,
les couvents sont protégés par le prince territorial. Charles VII peut
compter sur le dévouement des frères issus de ses pays. Certains furent
patriotes : ainsi Etienne Chariot, qui, en 1424, paya cher d’avoir
espionné le duc de Bourgogne pour le compte de son roi ; Jean Rafanel, qui
quitta Paris en 1418 avec le dauphin devant l’avancée des troupes
bourguignonnes, ou frère Richard, qui prêchait à mots couverts, au printemps de
1429 à Paris, pour le roi de Bourges. Mais le grand couvent parisien servait
Bedford, certains des juges de Rouen étaient franciscains et n’eurent pas
d’états d’âme pour condamner Jeanne. À Londres, les franciscains étaient très
majoritairement lancastriens. Un ordre monastique a une sensibilité religieuse
commune, mais ce n’est pas un parti politique pourvu d’une ligne unique. Si les
franciscains ont pu donner l’impression qu’ils étaient plus
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